Tahar Sfar, un traité de l’exilé ? extrait d’un écrit du Prof. Kélifa Chater

Rédigé en 1935 à Zarzis, pendant sa captivité, le Journal d’un exilé de Tahar Sfar, évoque ses souvenirs, ses réflexions et ses confidences, lors de sa solitude forcée. Exil créateur, propice à la méditation, solitude et plénitude. Tahar Sfar affirme que l’action, dont il est privé durant son exil, « obscurcit notre entendement et limite notre champ d’action ». Cette situation privilégiée, en quelque sorte, lui permet d’être « accompagné d’une armée de souvenirs […] vivant tour à tour dans le passé avec les morts et les ruines, l’âme des ancêtres et l’esprit des héros, dans le présent par l’analyse de notre état social, de la psychologie de nos contemporains, dans l’avenir aussi, par les prévisions et les rêves, les brillantes anticipations et les prophéties les plus lointaines […] ». Fait d’évidence, il affirme que « jamais chez-lui, la méditation n’a été aussi créatrice » Mais Tahar Sfar se ressaisit et corrige sa réflexion. Il fait valoir que la solitude, fût-elle imposée, permet l’action :

La véritable action est plus silencieuse ; elle exige de la méditation, de la réflexion, un certain repliement intérieur, précède toujours les grandes activités et les plans d’action, qui pour être bien conçus et bien exécutés doivent être échafaudés sur des doctrines élaborées dans le silence des cabinets d’études.

évoquant les souvenirs de sa vie parisienne, alors qu’il poursuivait ses études supérieures, Tahar Sfar évoque son enrichissement – non son acculturation –, par les deux modes de pensée : « l’analyse et sa synthèse […] deux modes, deux formations différentes, la culture orientale et la culture occidentale ». Cet apport double conforte son nationalisme et lui permet de le théoriser et de le conceptualiser. Il rejette cette « association du loup et de l’agneau, de l’esclave et du maître ». Il cite Anatole France, pour légitimer la lutte ou du moins la résistance : « L’on n’est point abeille si l’on n’a pas d’aiguillon ». À l’écoute de la « symphonie de la mer », il fait valoir « la loi de l’harmonie », par laquelle « tout se résout en harmonie » 

L’enseignement de la mer… Regardez cette vague ; elle s’enfle, s’enfle et c’est au moment où elle apparaît la plus monstrueuse qu’elle se brise et s’étale sur la grève… Ainsi, c’est au moment où la puissance atteint son point culminant, que se prépare le déclin.

Dans le cadre des cycles de formation et de chute des empires, Tahar Sfar est convaincu de la disparition des empires coloniaux. L’indépendance est inéluctable, à plus ou moins brève échéance. Mais il s’agit d’une étape, qui doit être dépassée :

L’indépendance de la Tunisie, c’est plus de liberté et plus de responsabilité aussi pour le Tunisien. C’est le pays se gouvernant lui-même, d’une manière autonome, assurant lui-même la sécurité et la vie de tous les habitants du territoire. L’indépendance, dans le sens actuel du mot, est une conception relative…

L’indépendance des états est un mythe, destiné d’ailleurs à disparaître, dans un avenir plus ou moins lointain, à mesure qu’augmentera l’interdépendance entre nations, rapprochant les mentalités et les économies, les corps et les esprits. Dans les colonies, l’indépendance, c’est la suppression de la sujétion, de la tutelle…

 

 

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