TAHAR SFAR

MÉMOIRES de RACHID SFAR

Première Partie

SOUVENIRS D' ENFANCE
LES MESSAGES LÉGUÉS PAR MON PÈRE.

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"EN TUNISIE, LA RÉALITÉ LA PLUS IMPORTANTE, DONT TOUT LÉGISLATEUR, QUEL QU’IL SOIT DOIT S’INSPIRER, C’EST L'ASPIRATION DU PEUPLE TUNISIEN, DANS SON ENSEMBLE, À VIVRE D'UNE VIE DIGNE, DANS UNE ATMOSPHÈRE DE LIBERTÉ."

TAHAR SFAR. L’Action tunisienne.

SOMMAIRE DES DEUX PARTIES DES MÉMOIRES

DE RACHID SFAR.

PRÉAMBULE

PROLOGUE : POURQUOI CET OUVRAGE ?

PREMIÈRE PARTIE

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SOUVENIRS D’ENFANCE.

LES MESSAGES LÉGUÉS PAR TAHAR SFAR.

Mensonge ou vérité cette phrase attribuée à

Plutarque : "L'INGRATITUDE ENVERS LES VRAIS GRANDS HOMMES EST LA MARQUE DES PEUPLES FORTS".

CHAPITRE 1

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UN ETUDIANT QUI SORT DE L'ORDINAIRE

1903-1927

Térence : «RIEN DE CE QUI EST HUMAIN NE M'EST ETRANGER »

CHAPITRE 2

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AU CŒUR DE LA PREMIÉRE GRANDE TOURMENTE

1928_1936

L’APOTRE DE LA RESISTANCE NON VIOLENTE.

CHAPITRE 3

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"L'indépendance est un idéal absolu dans la conscience des peuples. C'est un ensemble de significations et de symboles qui se transmettent d'une génération à une autre, par attachement à la terre et aux attributs de l'identité nationale, et avec la détermination inflexible de surmonter les difficultés et de gagner les enjeux de l'histoire.."

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PRÉAMBULE

" Le peuple tunisien qui a toujours aspiré à la modernité, depuis plus d'un siècle et demi, et a été un précurseur dans l'édification de ses institutions de base, à l'initiative de ses réformateurs et de ses intellectuels, a aussi été à l'avant-garde des peuples qui se sont distingués par des mouvements intellectuels et sociaux pionniers qui ,dès le début de ce siècle, ont appelé à l'indépendance du pays, à la promulgation d'une Constitution Tunisienne, à l'émancipation de la femme et à la reconnaissance des droits des travailleurs, et ont défendu l'identité nationale et repoussé les assauts dont celle-ci était la cible. C'est autour de ces constantes et de ces valeurs que l'ensemble des organisations populaires et des forces nationales se sont unies.

PROLOGUE

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POURQUOI CE LIVRE ?

« LA VÉRITE ON NE LA POSSEDE JAMAIS ON DOIT CONSTAMMENT LA RECHERCHER AVEC SINCERITÉ ET HUMILITÉ» Raymond BARRE.

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Dans une vie, il y a généralement un temps pour apprendre, un temps pour agir et un temps pour méditer et parfois pour écrire. J'ai entamé en cette journée symbole du 17 octobre 2003,décrétée depuis 1992 par l'organisation des Nations-Unies, « Journée Mondiale du refus de la misère », une sorte d'analyse rétrospective de l'itinéraire de mon père, ainsi que celle des principales étapes de ma vie en insérant, chaque fois que cela me parait utile, des réflexions et des souvenirs personnels ainsi que des témoignages qui m'ont été rapportés par des membres de ma famille ou par des personnalités dignes de foi qui ont connu de prés tant mon père que ses camarades de combat.

Je me placerai dans une perspective historique sans être toujours prisonnier de la chronologie.

Ce faisant, je ne prétends nullement faire œuvre d'historien, néanmoins j'avoue avoir présent à l'esprit quelques réflexions sur l'histoire et la pensée historique, qui me paraissent pleines de sagesse, telle, cette définition d’In Khaldoun dans ses prolégomènes : « l'histoire a pour objet l'étude de la société humaine, c'est à dire de la civilisation universelle. Elle traite les particularismes dus à l'esprit de clan et les modalités par lesquels un groupe humain en domine un autre. Ce dernier point conduit à examiner la naissance du pouvoir, des dynasties et des classes sociales... » ou cette assertion de Paul Veyne qui affirme que « l'histoire est un roman vrai... Elle est récit d'événements: tout le reste en découle..; c'est une narration, Comme le roman, l'histoire trie, simplifie, organise, fait tenir un siècle en une page et cette synthèse du récit est non moins spontanée que celle de notre mémoire, quand nous évoquons les dix dernières années que nous avons vécues. » ; ou encore cette déclaration de François Furet, l’ancien président de l’Ecole des hautes études en sciences sociales et le spécialiste de la Révolution française qui fut au cœur des passionnantes évolutions de la recherche historique au cours de ces dernières décennies: « L'histoire, nous dit-il, même savante, n'est pas et ne sera jamais une discipline assez exacte, au sens où on parle des sciences exactes, pour réunir l'assentiment de ceux qui l'écrivent sur les critères qui séparent le scientifique du non scientifique. » et Furet précise : « A l'intérieur de cette dénomination actuelle de l'histoire socioculturelle, qui a pour elle le préjugé démocratique, on assiste depuis 10-15 ans au renouveau de l'histoire des idées politiques. »

Comme j'ai encore en mémoire, aussi, cette formule de Hegel: « ...le point essentiel est d'appréhender et exprimer le vrai, non comme substance, mais précisément aussi comme sujet » et également cette forte et dense déduction existentielle qu'on trouve dans « La naissance de l'histoire » de François Châtelet, ce philosophe que j’ai beaucoup apprécié au point de le considérer comme l’un de mes meilleurs professeurs pendant la période de mes études supérieures ( 1953à1957) à l'Institut des Hautes Etudes de Tunis: François Châtelet nous dit dans son ouvrage: « L'homme se comprend désormais comme être historique. Il sait - au moins pratiquement -que ses gestes, ses décisions, ses paroles sont les éléments d'une totalité dynamique irréversible et significative, que chaque moment de son existence résulte de son passé et dessine son avenir, que le cours du temps n'est pas le simple cadre de sa présence, mais le lieu imposé où se joue dramatiquement son être. Il sait aussi que son sort individuel ne saurait être détaché du devenir actuel de l'humanité, que tout événement finalement le concerne et qu'il est engagé dans cette action globale et disparate qu'on nomme histoire présente. » Je ne voudrais pas oublier de citer aussi Emmanuel Le Roy Ladurie, ce grand historien, ancien directeur de la Bibliothèque Nationale de France qui nous dit « pour l'historien, il ne faut pas juger mais relater, expliquer, comprendre » et il ajoute: « L'important est de déniaiser l'histoire, pour qu'elle ne soit pas lénifiante. Ce n'est pas facile. Furet a déniaisé la révolution française. Déniaiser le XXe siècle, il faut attendre... » Furet, dont « le Dictionnaire critique de la Révolution française » fait aujourd'hui autorité, réaffirme un principe, déjà énoncé par Tocqueville : que la Révolution n'est pas une, mais, qu'il a deux Révolutions, la première est celle des droits de l'homme, qu'il faut distinguer, de la seconde qui fut, malheureusement, celle de la Terreur avec tous ses malheurs et ses lourdes conséquences récurrentes.

En rédigeant cet ouvrage j'aurai également toujours présent à l'esprit les précieuses recommandations d'Ibn Khaldoun relatives aux erreurs à éviter dans toute narration à caractère historique, à savoir: ne pas se laisser emporté par l'esprit partisan; ne pas faire une confiance aveugle aux sources d'informations et faire preuve systématiquement d'esprit critique; ne pas avoir la conviction qu'on détient la vérité absolue et chercher à bien déchiffrer la signification des événements; ne pas méconnaître ou sous estimer l'implication des circonstances sur la réalité des faits et ne pas embellir d'une manière mensongère l'histoire des grands par la tendance à la flatterie.

N'étant, ni historien, ni philosophe, même si j'aime l'histoire et la philosophie, c'est en toute simplicité et avec humilité, que je tenterai d'apporter mes témoignages pour laisser quelques traces, qui pourraient présenter un certain intérêt pour des historiens de métier et je me limiterai, ce faisant, à ce qui me semble utile à la mémoire collective.

Je mettrai l'accent essentiellement sur ce qui pourrait intéresser surtout nos jeunes générations car, et c'est l'évidence même, « plus les hommes sont éclairés plus ils seront libres » disait déjà Voltaire. J'ajoute pour ma part, que seule une liberté authentique de citoyens bien éduqués et bien formés, confortée par une information sérieuse, crédible et objective, peut légitimer, au niveau de l'Etat, l'exigence de responsabilité dans les comportements et les actes des citoyens.

J'entreprends ce travail loin de toute préoccupation politique partisane, convaincu que je suis et par expérience, comme le pense très justement Paul Valéry que « l'esprit politique finit toujours par être contraint de falsifier. » En effet, l'expérience et l'histoire ont souvent démontré que « l'esprit politique » commence toujours par affirmer avec force se mettre au service de la collectivité dont il assume le destin, puis, avec le temps qui passe surviennent les dérives dés que le système politique devient exclusivement un instrument de conservation du pouvoir quelque qu'en soit le prix pour la collectivité.

Si certains de mes concitoyens et si des amis sincères de mon Pays trouvent un jour dans cet ouvrage des motifs nouveaux d'attachement pour la Tunisie de l'ouverture sur les grandes civilisations, pour la Tunisie des combats en faveur du triomphe des valeurs universelles, pour ses hommes, ses femmes et tous ses enfants épris de liberté et de dignité pour tous, je serais comblé.

Si de surcroît, de jeunes tunisiens, animés de l'ardent désir de toujours mieux faire, découvrent dans ces souvenirs quelques lignes d'horizons qui les confortent dans ce qu'ils entreprennent ou quelques enseignements qui peuvent les aider à identifier constamment de nouveaux raccourcis permettant à notre pays d'être toujours parmi les pays qui continuent à progresser résolument, dans cette grande compétition internationale de tous les dangers que vit actuellement notre planète, je serai alors le plus heureux des hommes.

Je m'attacherai, pour la rédaction de ces mémoires, à rester fidèle, avant tout, à mon penchant naturel pour le « parler vrai » et je livrerai à mes lecteurs mes réflexions et mes souvenirs à « cœur ouvert », à l'état brut en quelque sorte, sans recherche d'effet de style, sans masque, sans amertume et surtout sans aucune arrière pensée autre que celle de tenter de contribuer aussi efficacement que possible, à la compréhension de certains aspects de l'histoire contemporaine tunisienne qui « pour être encore, non suffisamment connue ou parfois occultée dans certains de ses aspects, n'en continue pas moins de travailler notre conscience collective ».

Je me dois, toutefois, de rendre hommage aux chercheurs et aux historiens tant tunisiens qu'étrangers qui pendant ses deux dernières décennies ont déployé des efforts significatifs pour une meilleure lecture de notre histoire contemporaine mais il reste encore beaucoup de pain sur la planche du long et interminable chemin de la recherche de la vérité... L'apport de cet ouvrage à ce titre se veut modeste quand aux domaines qui seront couverts, il tentera de s'astreindre à une stricte rigueur intellectuelle quand au contenu des informations qu'il soumet à la réflexion des lecteurs même si on ne peut s'extraire totalement d'une certaine subjectivité dés qu'on aborde des analyses comportant des jugements de valeur.

Je consacrerai la première partie de ce livre – à travers mes souvenirs d’enfance et les écrits dont je dispose - à une analyse destinée, si possible, à mieux faire connaître la personnalité de mon père, certaines de ses idées, ses centres de convergences et ses divergences conceptuelles avec le Président Habib BOURGUIBA à propos du processus de conduite de la lutte de libération nationale. Je tacherai d’expliciter certaines positions politiques de mon père qui, de l’avis d’un grand nombre de ses camarades, ont été dictées par les convictions intérieures et profondes d'un homme de pensée engagé dans l'action politique pendant la première et la deuxième phase du combat décisif de libération de la Tunisie. Je m'attarderai plus particulièrement sur le drame politique qui l'a déchiré pendant les années 1938 à 1939, drame qui contribua à sa mort prématurée à l'âge de 39 ans.

Les idées de Tahar Sfar, sciemment ou par ignorance, semblent être occultées, bien que Bourguiba n'ait jamais omis de se recueillir sur sa tombe chaque fois qu'il se rendait à Mahdia, aussi bien avant qu'après la libération de notre pays, et ce n'était certainement pas uniquement par simple amitié ni pour la beauté du site merveilleux du cimetière marin de ma ville natale, qu'il a chaque fois éprouvé le besoin - à travers ce recueillement simple et émouvant- d'une sorte de retour aux sources des années de jeunesse et de combat, qu'il avait vécu intensément avec Tahar Sfar et de nombreux autres camarades qui n’ont pas manqué d’envergure et qui sont restés méconnus.

Ce voile jeté involontairement sur la pensée de Tahar Sfar semble persister bien qu’un hommage a été rendu à la mémoire de Tahar Sfar en lui accordant à titre posthume, comme à d'autres grandes figures tunisiennes du combat national, le grand Cordon de l'Ordre de l'Indépendance. Il est peut-être significatif de souligner que jusqu'ici, le seul livre digne de ce nom qui ait été écrit sur Tahar Sfar, soit celui du Père André Demeerseman : « La-bas à Zarzis et Maintenant.. » Cet ouvrage fut publié en 1969 : à ma connaissance, seul le quotidien tunisien « La Presse de Tunisie » salua à l’époque sa parution. Cette publication est intervenue neuf ans après celle des notes écrites par mon père pendant son exil à Zarzis en 1935 parue sous le titre de « Journal d'un exilé » en 1960 et deux ans après la publication d'une partie du contenu des interrogatoires et dépositions constitutives du dossier de l'instruction conduite par le juge militaire français De Guerrin de Cayla après les événements dramatiques du 9 avril 1938 à Tunis.

La publication d'une partie des documents, de ce qu'on avait appelé le « Procès de Bourguiba », était destinée à mettre à la disposition des historiens et des lecteurs des données de première importance pour la compréhension d’une des périodes cruciales de la lutte nationale. Ces documents de l’instruction d’un procès qui n’a jamais eu lieu en raison du déclenchement et de la tournure prise par la deuxième guerre mondiale, furent introduits par un commentaire qui, pour le moins qu'on puisse dire, ne présentait qu'un seul point de vue, qu'une seule lecture conduisant à des jugements de valeur, parfois réducteurs, sur les motivations, les attitudes, et les prises de positions politiques des différents protagonistes, acteurs et responsables politiques d'une phase importante du combat de la libération de la Tunisie.

André Demeerseman qui avait préfacé « le Journal d'un Exilé » avait, certes, pris connaissance des documents publiés et relatifs à l’instruction du procès intenté à l’encontre des militants du Néo-Destour avant de rédiger son ouvrage sur Tahar Sfar. Mais il me semble que ses analyses, profondes, remarquables et fort pertinentes par ailleurs, n'ont volontairement pas couvert de nombreuses questions relatives à la situation tant nationale qu'internationale de l'époque, ni celles qui concernent les fondements des idées politiques parfois divergentes qui étaient celles de Habib Bourguiba, de Mahmoud Matéri, de Tahar Sfar, de Bahri Guigua et d'autres leaders nationalistes tunisiens qui ont assumé des responsabilités de premier plan dans les premières phases du combat national politique organisé et conduit par un parti politique moderne, le Néo-Destour, dont ils ont été ensemble les fondateurs et qu’ils l’ont voulu à l’image des grands partis démocratiques des pays avancés. Demeerseman pensait certainement qu’il appartenait essentiellement à des historiens tunisiens de procéder à de telles analyses.

Occulter la complexité du cheminement de la pensée politique, pendant une des périodes cruciales de notre histoire contemporaine, prive, à mon sens, les nouvelles générations de tunisiens des leçons qui peuvent être tirées du précieux débat d'idées qui a été animé par les différents responsables du mouvement de libération nationale et donc de la richesse intellectuelle qui a caractérisé les fécondes divergences de point de vue notamment sur les méthodes et conditions de conduite du combat libérateur ; combat qui me semble devoir être distingué, en raison de son caractère exceptionnel dans l'histoire d'une nation, de l'action politique classique d'une collectivité déjà maîtresse de son destin. Il me semble qu’il est utile de ne pas se limiter à la distinction un peu simpliste entre deux courants de pensée du nationalisme tunisien celui du « Vieux Destour » et celui du « Neo-Destour » ou celui des modérés et celui radicaux .

Je me dois de rappeler, par souci d'objectivité, que pendant la période du Président Bourguiba, c'est à la seule initiative de la Cellule de la Médina du parti Néo-Destourien que fut célébré localement, à Mahdia le 40é anniversaire de la mort de Tahar Sfar. A cette occasion, une petite brochure en langue arabe fut éditée par le professeur Hassen Sioud sous le titre « Tahar Sfar le militant et le penseur ».

Depuis cette commémoration en 1982, chaque année à la date anniversaire du décès de Tahar Sfar le 9 Août, une conférence est souvent organisée, des militants de la ville de Mahdia lisent « la Fatiha » et se recueillent sur une tombe austère qui fut édifiée par la section de Mahdia des Scouts Tunisiens en 1951 et sur laquelle est gravée un poème écrit par un très sympathique militant, plein d'imagination et d'une grande vivacité d'esprit, natif de Mahdia, Cheikh Boubaker,( Décédé en janvier 2002) poète à ses heures et enseignant de profession.

Le 9 août 1999, la Cellule de la Médina de Mahdia a organisé à l’intention des élèves du secondaires et de leurs professeurs de la région une sorte de concours portant sur l’analyse et le commentaire de certains des écrits de Tahar Sfar, deux professeurs du secondaire furent primés et ont présenté leurs textes devant un auditoire composé essentiellement de « mahdois » en présence de mon ami M. Hédi Baccouche l’ancien Premier ministre qui avait exprimé le vœux de participer à cette modeste cérémonie pour manifester son respect et sa considération pour la mémoire de mon père.

M. Brahim Khouadja ancien ministre des télécommunications semble avoir découvert, pour sa part, la dimension humaniste et l'actualité de la pensée de son compatriote Tahar Sfar notamment en lisant « le journal d'un exilé » et depuis il ne manque jamais de répondre aux sollicitations de ceux qui ont animé des causeries sur certains aspects de la pensée ou de l'activité de Tahar Sfar.

Il convient également de signaler que le professeur Rachid Dhaoudi a consacré à Tahar Sfar un chapitre de 12 pages dans son livre en langue arabe « les héros et les martyrs de la patrie » et que récemment la revue de l’Association des anciens de Sadiki a publié quelques articles de mon père avec une brève biographie sous la plume du Professeur Hamadi Sahli.

En 2003 à l’occasion du centenaire de la naissance de Tahar Sfar le gouvernement tunisien a donné des instructions pour édifier à Mahdia un portique pour honorer sa mémoire ; Mr Brahim Khouaja a choisi l’ extrait des « Mémoires d’un exilé » qui a été gravé sur le portique, j’aurais préféré un extrait plus représentatif de ses pensées de vrai humaniste.A cette occasion également et répondant à ma suggestion, « l’Institut Supérieur de l’Histoire du Mouvement National » a chargé l’historien Khalled Abid de préparer un petit ouvrage en langue arabe relatant l’itinéraire de mon père et comportant quelques articles assez représentatifs des ses nombreux écrits.

J’ai relevé, et bien d’autres avec moi, que depuis l’indépendance et à ce jour aucun texte de Tahar Sfar n'a été sélectionné par nos enseignants pour être étudié et analysé au profit de nos jeunes ni au niveau de l’enseignement secondaire ni au niveau de l'enseignement supérieur de notre pays et que ce n'est que récemment qu'une petite avenue de la nouvelle cité El-Manar II de notre capitale a été choisie porter le mon de Tahar Sfar.

En 1988 j'ai pensé que l'hommage rendu par le Président Ben Ali à Tahar Sfar était également rendu à tous les « Mahdois » qui ont participé d'une manière ou d'une autre aux combats de libération de notre pays, ainsi qu'à tous les tunisiens, qui partagent avec mon père un réel attachement aux valeurs pour lesquelles il a lutté et à tous ceux, qui croient fortement comme lui, qu'il n'y a pas de véritable dignité sans liberté et pas de véritable liberté sans responsabilité, que la vraie responsabilité ne peut être que la résultante d'une culture authentique, fondée sur une quête permanente pour la maîtrise de la connaissance et pour la recherche de la vérité.

J'avais ainsi estimé, en 1988, qu'il était de mon devoir de remettre la décoration décernée à titre posthume, entre les mains du président de la Municipalité de Mahdia de l'époque Mr Habib Hadj-Said en suggérant quelle soit exposée dans la salle du conseil de l'hôtel de ville.

Ce faisant je pensais, naïvement, que cette décoration exposée pourrait rappeler utilement à mes concitoyens et plus particulièrement aux membres du Conseil de la ville de Mahdia les idées et les valeurs pour lesquelles avaient combattu les militants de notre libération nationale.

Mon père fut, de l'avis de tous ceux qui l'ont connu d'assez prés et qui m’ont parlé parfois assez longuement de lui, un penseur humaniste et un apôtre de la morale en politique, un anti-Machiavel en quelque sorte, en un siècle où « lorsqu'une voix morale se fait entendre, on ne se contente pas de la contredire, on la ridiculise..... »

Mais si on peut croire que Tahar Sfar a été en politique un moraliste utopique, un naïf même, ou un penseur égaré comme quelques uns l'ont déclaré, pensé ou écrit, il est par contre certain, à travers des témoignages concordants que j’ai recueillis, qu'il n'a jamais été pour un ordre moral imposé par la force ou par la crainte et cela par qui que ce soit et sa naïveté si, jamais elle avait existé, ne signifie pas ignorance ou niaiserie, mais spontanéité, préférence donnée à la liberté intérieure et à la sensibilité humaine plutôt qu'à la célébrité et à la notoriété.

C'est ainsi que Tahar Sfar a œuvré, sur le terrain et non pas uniquement par la plume - comme nous le verrons dans cet écrit -, dés son jeune âge pour la concrétisation de la diffusion d'une éducation moderne, ouverte aux sciences et à tous les courants de pensées pour former « des esprits libres, ouverts, solides et critiques » et par voie de conséquence attachés à des valeurs universelles par une profonde et sincère conviction intérieure.

Tahar Sfar avait une répulsion quasi-viscérale du culte de la personnalité, il ne croyait qu'au travail d'équipe, même quand cette équipe avait pour chef un homme providentiel.

Ce qui importait le plus pour cet intellectuel engagé, ce qui était sa grande priorité, notamment pendant la phase de préparation à la libération de son pays, c'était l'éducation sérieuse de l'ensemble du peuple tunisien, c'était la large diffusion du mouvement des idées universelles et de leurs évolutions ainsi que l'animation de réels débats sur les thèmes ayant une influence majeure sur l'évolution des composantes socioculturelles du projet de société qui était à l'époque celui de tous les vrais penseurs et de tous les authentiques réformateurs tunisiens qui l'ont précédé dans le combat national depuis le début du XXe siècle et même avant. Tahar Sfar a toujours pensé et n’a jamais cessé de le répéter, comme beaucoup d’autres penseurs et leaders politiques tunisiens- et ce fut une des grandes chances de notre pays- que seule une solide éducation du peuple tunisien serait capable de le conduire inéluctablement, grâce à la participation effective du plus grand nombre, vers une libération à même de réaliser tous les espoirs placés en elle.

Pour Tahar Sfar, plus particulièrement, la manière dont devrait être conduite la lutte de libération préfigurera en bonne partie les mœurs politiques qui domineront la scène tunisienne après l'indépendance. Nous y reviendrons bien entendu.

A défaut , de documents écrits de la propre main de Tahar Sfar, sur les semaines décisives qui ont précédé le drame du 9 avril 1938, sur le déroulement de l’instruction du juge militaire qui suivit ces événements, sur les conditions et le « climat » de sa détention avec Bourguiba et ses autres camarades - documents qui auraient revêtu un intérêt certain au même titre, par exemple, que les mémoires très instructives et forts émouvantes par leur sincérité, leur simplicité et la grande sensibilité qu’elles dégagent, que nous a laissé, avec bonheur, celui qui fut le premier Président du Néo-Destour le Docteur Mahmoud El-Materi ou les "Souvenirs Politiques" d'un authentique militant, intègre tant sur le plan intellectuel que sur le plan moral, intransigeant, envers les autres, comme il l'a été avec lui même, le Docteur Slimane Ben Slimane membre du bureau politique du Néo-Destour jusqu'au 18 mars 1950,ou encore les mémoires de Rachid Driss ce militant attachant des années 37 à 56 "Reflet d'un combat" : une touchante narration historique scrupuleuse d'une période du combat de libération, encore mal connue, - je tenterai de soumettre au lecteur, outre mes souvenirs d’enfance, une synthèse des témoignages verbaux que j'ai recueillis, plus particulièrement auprès de ma mère ,de mon grand père, de mon oncle Ahmed Sfar ,de Maître Guéllati, des cheikhs El-Habib El-Fékhih Salem, Mohamed Abdessalem, Abdelhakim Khodja et Mohamed El-Kesraoui ,ainsi que les témoignages que j'ai eu l'occasion d'entendre en 1950 sur la bouche du grand militant et du grand martyr que fut le très regretté Hédi Chaker alors que j'étais encore élève au Lycée de Sfax ,je me référerai également aux témoignages de Béchir-Zarg-el-ayoun qui avait occupé une cellule mitoyenne de celle de mon père à la prison civile de Tunis après son transfert de la prison militaire l'été 1938. Zar-El-Ayoun me fit ses confidences tardivement au cours des premiers mois de l'année 1987 bien que je fis sa connaissance depuis les années 1960 quand j'ai assumé les fonctions de Directeur de La Régie Nationales des Tabacs.

Les historiens, les sociologues, les psychologues et les psychiatres de métier pourraient utilement, entre autres comparer, les écrits, les idées et les conceptions politiques de Tahar Sfar avec ceux de Habib Bourguiba, Farhat Hached et bien d’autres pour faire apparaître tant, les similitudes dans le cheminement de leur pensée et leur action, que les différences qui les singularisent et qui caractérisent la personnalité de chacune de ces grandes figures de notre histoire qui ont marqué- avec d'autres leaders et d'autres militants et penseurs - chacun à sa manière, le mouvement national tunisien et plus particulièrement les jeunes des années 1931 à 1938 pour Tahar Sfar, des années 1931 à 1956 pour Habib Bourguiba et du début des années 50 pour le grand martyr Farhat Hached ; ces jeunes tunisiens de tous les horizons, souvent anonymes, dont la contribution au combat national, fut à mon avis déterminante depuis 1938 et plus particulièrement lors de la dernière phase de la lutte, de janvier 1952 à juin 1955.Pour de nombreuses personnalités ayant connu de prés les deux hommes, autant Tahar Sfar était habité dans son action politique par une éthique de conviction qui le poussait au dévouement pur sans calcul, autant Habib Bourguiba était animé par une éthique de responsabilité sous tendue par une forte ambition personnelle pour le pouvoir politique. On pourrait même dire, en schématisant bien entendu, que ces deux hommes ont incarné deux figures symboliques, assez bien représentatives d'une partie de l'élite tunisienne de l'époque, deux figures, à la fois proches et opposées à travers lesquelles on peut retrouver les grands traits d'autres intellectuels et penseurs tunisiens engagés dans le combat de libération de la Tunisie dans la première moitié du XXe siècle: Tahar Sfar l'intellectuel universaliste, rationaliste profondément attaché aux valeurs humanistes authentiques de sa religion, scrupuleux à l'extrême, véritable apôtre de la non-violence et Habib Bourguiba, le stratège politique qui n'hésite pas à mettre le sacrifice suprême, de soi et des autres, au service de la plus noble ambition collective.Tahar Sfar nous ayant laissé, dans ce qui pu être sauvé de ses écrits, des messages qui me semblent toujours d’actualité par certains de leurs aspects, j’ai pensé qu’il était utile de soumettre à l'appréciation des lecteurs, dans le chapitre 2 de la première partie de cet ouvrage, de très larges extraits et même quelques uns de ses textes dans leur intégralité.Certains militants du « Néo-Destour » avaient qualifié, pendant les années1934 à1937,Tahar Sfar de « philosophe du Parti », cela est peut être vrai si on entend par philosophe un homme qui s'efforce, avec humilité, d'élucider par l'effort de la pensée, des problèmes qui s'imposent à tous ceux qui veulent réfléchir pour donner un sens à leur vie: Il appartiendra au lecteur de juger notamment à travers les écrits de Tahar Sfar que je soumet à son attention..Rachid Sfar.

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RACHID SFAR

11.03-2003.

PREMIERE PARTIE

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SOUVENIRS D’ENFANCE.

LES MESSAGES LEGUES PAR TAHAR SFAR.

1903-1942 .

« On ne doit aux morts que la vérité. » Voltaire.

Mensonge ou vérité cette phrase attribuée par certains auteurs à Plutarque:

« L'INGRATITUDE ENVERS LES VRAIS GRANDS HOMMES EST LA MARQUE DES PEUPLES FORTS"

CHAPITRE 1

UN ETUDIANT QUI SORT DE L'ORDINAIRE

1903_1928

TERENCE: « RIEN DE CE QUI EST HUMAIN NE M'EST ETRANGER... »

C'est dans une presqu'île merveilleuse de la côte est de la Tunisie, dénommée depuis la nuit des temps « Cap-Africa » et sur laquelle fut édifiée la première capitale de la dynastie musulmane des Fatimides, Mahdia, que naquit mon père un 12 novembre de l'an 1903 dans une famille dont les origines remontent à la première vague d'occupation ottomane et qu'on pouvait considérer comme appartenant à la classe moyenne selon la signification et les caractéristiques actuelles de cette catégorie sociale.Mon grand père Mustapha notaire, à l'époque, bien connu et respecté dans sa ville, choisit pour son deuxième fils le prénom de Tahar, « le pur », après avoir donné la préférence pour son aîné celui de Sadok « celui qui dit la vérité » respectant ainsi une symbolique qui mettait en exergue dans le choix des prénoms les valeurs sociales qu’on souhaitait promouvoir dans la communauté.La famille Sfar, tant sa branche « tunisoise » que sa branche « mahdoise » serait – selon les informations recueillies auprès de mon grand-père maternel Mohamed Sfar - la descendante d'un officier d’origine macédonienne de l'armée turque (l'équivalant d'un général de corps d'armée ) qui fit partie des premiers officiers de l'occupation ottomane et qui fut en garnison pendant quelques temps à Tunis, où il contracta un premier mariage avant d'être affecté à la défense de la ville de Mahdia où il résida le plus clair de sa vie, contractant d'autres mariages avec des femmes du pays et effectuant des missions de pacification ou de reconnaissance sur l'ensemble du sud tunisien plus particulièrement, avec semble t-il, des incursions jusqu'en Tripolitaine (actuelle Libye) où il aurait guerroyé avec succès.L’historien tunisien Ahmed Ibn-Abi-Diaf , dans son célèbre ouvrage « Ithaf Ahli azaman » achevé en 1872, signale parmi les péripéties sanglantes et les querelles pour le pouvoir des premières années de l’occupation de la Tunisie par les troupes ottomanes, la rivalité qui a opposé « Othman Dey » prétendant au pouvoir dans la capitale à « Sfar Dey » au alentour de l’année 1591.( Deuxième partie du Tome I, page 28 de l’édition du Ministère tunisien des affaires culturelles préfacée par le Ministre de la culture A. Hermassi.)Les familles Sfar sont nombreuses dans la ville de Mahdia, à tel point, qu'il a fallu ajouter un deuxième nom pour distinguer des familles dont le lien de parenté précis avait disparu tant de l'état civil que de la connaissance des anciens généalogistes.J’ai gardé des souvenirs d’enfance très vivaces notamment de mon grand-père maternel, Mohamed Sfar, notaire également de profession, qui, parfois sans s'en rendre compte, se laissait aller à grommeler en prononçant quelques mots en langue turque, quand, enfants turbulents, nous finissions, mes cousins et moi, par le mettre hors de lui par notre tintamarre en jouant dans la cour de sa maison de Rédjiche, dans la banlieue de Mahdia.Mon grand père paternel Mustapha, formé exclusivement à l'Université Zaytuna de Tunis était comme la grande majorité des tunisiens à l'époque très attaché à nos traditions arabo-musulmanes, ce qui l'a amené à veiller, souvent avec sévérité, à donner à ses enfants une éducation respectueuse des valeurs que la communauté des « Mahdois » considérait devoir être celle de l'honnête homme, ,citoyen modèle pour la Cité. Il a tenu à apprendre lui-même, à ses sept enfants (quatre garçons et trois filles ) les premières « sourates » du Coran avant de les inscrire dans le « Kuttab » du quartier, petite salle jouxtant la salle de prière d’une petite mosquée, et qui faisait office d'école maternelle. Le répétiteur ou « Muadib » de Tahar Sfar au « Kuttab » fut le cheikh Hassen Fodda, une personne de solide culture islamique qui habitait dans la même rue que celle où se trouve la maison de mon grand-père.

Ma grand mère « Aïcha », dont l'origine est également turque(elle est née d'une famille dénommée jusqu'à ce jour « Turki »),avait un don particulier pour raconter à ses enfants, puis à ses petits enfants les versions pudiques des comtes des "milles et une nuit" les faisant vivre ainsi un monde merveilleux et contribuant ,sans le savoir, à développer en eux la faculté du rêve et celle de l'imagination créatrice.

A l'école primaire « franco-arabe » de l'époque mon père sortant d'un cocon familial très protecteur a eu, semble t-il, quelques difficultés d'adaptation dans un nouvel univers où il découvrait, pour la première fois, les contradictions entre les messages éducatifs inculqués par ses parents et la réalité des comportements humains, même dans celle du monde de l'enfance. Il a eu la chance d'avoir parmi ses enseignants à l'école le Cheikh Mohamed Abdessalem, le père de M Ahmed Abdessalem qui fut le premier recteur de l'Université de la Tunisie indépendante. Cheikh Mohamed Abdessalem qui enseignait à l'époque surtout "l'éducation islamique "expliquait déjà à ses élèves que l'Islam était avant tout tolérance ,ouverture d'esprit, encouragement à la maîtrise du Savoir,et attachement à une éthique porteuse de Valeurs Universelles;déjà il avait le courage de dire à ses élèves que l'islam devait constamment faire l'objet de réflexions des "Fakihs" pour l'adapter à l'évolution de la société et notamment au progrès de la science.Plusieurs générations de Mahdois transitant par l'école primaire de Mahdia,sont redevables au Cheikh Mohamed Abdessalem de cette foi sereine et tolérante, de cette très forte conviction en une impérieuse nécessité de recourir à "El-Ijtihad" pour que l'Islam ne devienne pas un prétexte à l'archaïsme , au sous développement , à l'asservissement de la pensée et au fanatisme.

Tahar Sfar ne s'est révélé à l'école que tardivement nous,ont rapporté, certains de ses instituteurs et de ses camarades de classe , et ce n' est qu' en année terminale de l'école primaire de Mahdia que,Tahar Sfar s'est brusquement distingué par ses bons résultats scolaires: Aussi c'est avec panache qu'il accéda à la première année de l'enseignement secondaire du Collège Sadiki où il effectua un cursus remarquable se faisant attribuer dans les différentes matières enseignées des Prix d'honneur. Après le Diplôme de fin d'études du Collège Sadiki, Tahar Sfar a été inscrit au Lycée Carnot de Tunis à la première année du baccalauréat. Sa maîtrise de la langue arabe et celle de la langue française s'affirmèrent davantage et sa grande passion pour la lecture des grands maîtres tant de la pensée arabe que française lui fit découvrir précocement la grande richesse des idées qui agitaient les élites du Monde. Cela fut possible particulièrement grâce aux facilitées qu'il a obtenu auprès de la bibliothèque nationale et de la bibliothèque de l'Association la Khaldunya toutes deux au souk El Attarine.

Tahar Sfar quitta le lycée Carnot un an avant Habib Bourguiba, avec un baccalauréat série philosophie et, malgré sa participation à un voyage d'études et de sensibilisation à Paris sous la conduite de ses professeurs du lycée et nonobstant les recommandations unanimes de ses maîtres pour continuer ses études à la Sorbonne, il répond au désir de mon grand-père et accepte la proposition qui lui était faite, à sa sortie du lycée, d'assurer la direction de l'Ecole "El-Arfania"à Tunis, rue El-Ourghi, pour y engager de profondes réformes.

Il s'agissait d'une école libre crée par la Société Musulmane de Bienfaisance et dont certains membres éminents du conseil d'administration, comme, Taïeb Radouane et El-Arbi Mami, n'étaient satisfaits ni des résultats scolaires ni de la gestion administrative et financière. Un des principaux membres de ce conseil, Si El-Arbi Mami (le parent où peut être même le père du martyr le docteur Abderrahmen Mami qui fut assassiné par la "main rouge" pendant les années 1950) une personnalité très estimée à la Marsa, ami de mon grand père Mustapha et qui fut une sorte de correspondant très attentionné pour mon père pendant ses études à Sadiki et à Carnot à telle enseigne qu'il le considérait comme son fils, influa plus particulièrement sur lui, pour achever de le convaincre de répondre favorablement à cette sollicitation qui lui permettait de mettre en pratique ses idées sur la réforme de l’enseignement.

Tahar Sfar pensait déjà à l'instar de la grande majorité des intellectuels tunisiens de l'époque, que l'avenir de son Pays passait par le développement d'une éducation "moderne" auprès de toutes les couches de la population, il était plus particulièrement influencé par la pensée et les idées du visionnaire "Ibn Khaldoun" sur l'éducation ,la formation ,les sciences et les déficiences de l'enseignement dispensé, en son temps dans le monde musulman ; il accepta de sacrifier momentanément la poursuite de ses études supérieures pour diriger l'école libre El-Arfania et mettre ainsi en pratique ses idées sur les réformes de l'éducation. Dés le premier trimestre de l'année scolaire les principaux membres du conseil constataient avec satisfaction les changements intervenus et les progrès réalisés à l'exception de ceux qui trouvaient peut être leurs comptes dans les errements de l'ancienne gestion et qui me manquèrent pas de tenter une cabale contre celui qui apportait de la transparence notamment dans la gestion financière de l'établissement. Cela fut l'occasion pour mon père d'être confronté, pour la première fois de sa vie, à l'ingratitude des partisans du statut-quo.. Cette cabale fut également l'occasion pour les "réformateurs", qui ont fait appel à mon père, de rédiger et d'éditer un petit fascicule en langue arabe ayant pour titre "Pages blanches et pages noires", explicitant l'intérêt des actions engagées avec succès à la satisfaction quasi-générale, même celle des élèves et cela malgré les efforts supplémentaires que leur demandaient les nouveaux programmes d'enseignement. l'appui des membres consciencieux du conseil permit à Tahar Sfar de surmonter sa première déception dans la vie et de mener à terme son action de mise en place et de démarrage des mesures d'assainissement et de modernisation."Nulle décision, nous dit André Démeerseman dans son livre sur Tahar Sfar, n'est plus révélatrice du désintéressement fondamental et du besoin de dévouement de Tahar Sfar...Se voyant encouragé dans son dessein par des hommes qui appréciaient sa double culture et sa science pédagogique, ce jeune homme de 19 ans se révéla un directeur d'école étonnant. Avec un instinct sûr, il soigna les plaies de l'organisation: niveau culturel des instituteurs, administration, programmes et méthodes.Des instituteurs, il exigea les connaissances, les diplômes( pour les instituteurs par exemple: le tatwie, le diplôme d'études secondaires de la Grande Mosquée ou le baccalauréat) et la valeur morale. Il leur garantit en contre parti un traitement convenable. Jusque là ,à cause de la modicité de ses ressources et de son orientation vers l'aide matérielle, la Société de bienfaisance avait cherché des instituteurs"à bon marché". Des élèves, il réclama un effort de pensée personnelle et leur imposa un programme de langue arabe (langue,littérature,coran,exégèse,hadiht),de langue française, de sciences positives. Bref il mit en jeu les ressources inépuisables de son talent. Tahar Sfar se maintint à sa place de directeur jusqu'en juillet 1924.Le 24 février ,il présentait un rapport qui eut un certain retentissement; mais il ne tarda pas à donner sa démission ,parce qu'il ne jouissait plus de la liberté nécessaire à sa fonction...Au total, le bilan était loin d'être négatif: cette expérience de dévouement librement choisie lui avait permis de mieux tracer sa voie."Nous pouvons ajouter ,à ce que dit Demeerseman, que les idées Ibn Khaldoun et ses nombreuses réflexions sur le système éducatif ont été d'un grand secours pour Tahar Sfar dans cette mission de formation, lui qui aimait lire et relire ce philosophe arabe du XIVe siècle qui fut bien en avance sur son temps et qui, par notamment ses réflexions pédagogiques et méthodologiques, contribua à développer cette prise de conscience collective des élites tunisiennes dans l'importance d'une éducation rationaliste et ouverte sur la science et la culture.Conseillé ,toujours, par ses professeurs-qui avaient déjà recommandés depuis 1922 de l'envoyer en France ,avec une bourse du Collège Sadiki,- et très encouragé par Habib Bourguiba,qui venait d'obtenir son baccalauréat et qui était déjà un grand ami depuis Sadiki, Tahar Sfar finit par se rendre à Paris,la même année que Bourguiba, pour suivre aussi bien les cours de la licence en littérature française que ceux de la licence en droit: Rien ne vaut la lecture des souvenirs de Tahar Sfar rédigés pendant son exil, en 1935, dans le Sud tunisien à Zarzis pour restituer au lecteur l'état d'esprit et la psychologie de cet étudiant pas ordinaire qui a su mener à bien des études assez diversifiées et nourrir sa grande passion pour des lectures très éclectiques tout en livrant libre cours à son penchant naturel pour la méditation et même on peut le dire pour la rêverie, tout cela avec des activités politiques qui se dessinaient déjà à travers sa participation aux travaux préparatoires du groupe constitutif de l'Association des Etudiants Musulmans du Maghreb Arabe, et à travers son assiduité aux nombreuses conférences de caractère politique, économique et culturel dont foisonnait le Quartier Latin: "Assis sur un tertre couvert de verdure, de fleurs jaunes et de coquelicots écarlates (il s'agit de la campagne de la ville de Zarzis) ,je me suis amusé à faire naître mes souvenirs de vie parisienne;nous raconte Tahar Sfar, je me rappelais, nous dit‑il, mes longues promenades le long des boulevards (Sébastopol,Observatoire,Denfert-Rochereau,etc...), mes rêveries au jardin du Luxembourg, au jardin des plantes, au Parc Montsouris, les noms des hôtels que j'ai habités tour à tour ,leur situation, la position de la chambre que j'occupais dans chacun de ces hôtels, la disposition du mobilier dans ces chambres, mes voyages à Versailles, au Bois de Boulogne, à Antony ,à Bourg la Reine, à Robinson, mes flâneries dans les rues, mes visites aux musées, mes veillées aux cafés de Montparnasse. A Paris j'étais partagé entre l'étude et la flânerie;je vivais constamment dans l'air surchauffé des bibliothèques(Faculté de Droit, Sciences Politiques ,Sainte Geneviéve, etc..)ou dans l'atmosphère des rues et des routes;il m'arrivait souvent la nuit de traverser Paris ,de marcher dans cette grande ville, au hasard, sans but, sans destination ,sans itinéraire ,passant des rues étroites et obscures aux grands boulevards étincelants de lumière ,pleins d'une foule bruyante, du bruit strident des véhicules, Quand il fait beau temps ,ce sont de longues promenades au dehors, dans la banlieue, en pleine campagne ,ou au milieu des chantiers ouvriers. Mes changements fréquents d'hôtel m'ont permis de connaître différents quartiers, différents modes d'existence. je ne détestais rien de plus que de passer mon temps dans un café ou un dancing; quand je n'étudiais pas, j'aimais à me promener, à marcher; et très souvent, il m'est arrivé d'étudier ,de réviser mes cours en marchant, au milieu de la cohue et du bruit de la rue."
 

Ainsi, c'est dans ce contexte complexe d'après guerre, qu'au cours, des années 24 à 27,les événements, que nous allons brièvement nous remettre en mémoire, à titre purement indicatif, semblent avoir retenu, à divers titres, l'attention de l'étudiant parisien Tahar Sfar comme certainement celle de ses camarades d'études. Ces événements ont fait l'objet soit de lectures dans des revues spécialisées, soit de discussions et d'analyses avec ses camarades tunisiens, maghrébins ou européens. Rappelons, que Tahar Sfar avait, pendant au moins un an, habité dans la résidence universitaire de Belgique à Paris, après un séjour à la cité Deutcht de la Meurthe, aux milieu des étudiants européens et qu'il avait à cette occasion écrit à quelques amis à Tunis pour appeler déjà ses compatriotes fortunés à rassembler des dons pour que la Tunisie puisse édifier une résidence pour étudiant à Paris à l'instar de ce petit pays qu'était la Belgique.Tahar Sfar ne pouvait pas ne pas réfléchir aux conséquences des événements qui retenaient son attention, à l’époque, tant pour l'avenir des relations internationales que pour l'évolution des idées et des courants profonds qui remuaient les sociétés occidentales. Idées et courants qui ne pouvaient pas ne pas avoir d'échos en Tunisie et d'influence sur l'avenir politique de son pays. Son inscription à l’Ecole libre des Sciences Politiques de Paris, parallèlement à la Faculté de Droit et à la Faculté des Lettres, témoigne de l’intérêt qu’il portait à la politique et de sa volonté de ne pas l’aborder en dilettante ni d’une manière classique, mais sur la base d’une démarche rationnelle et sur la base d’une certaine méthodologie.Ainsi Tahar Sfar suit avec intérêt, avant même son départ en France, le déroulement de la Conférence de Paris sur les réparations de guerre que l'Allemagne doit payer, il relève les conséquences possibles, à l’échelle internationale, tant de l'occupation de la Ruhr par la France, avec l'appui de la Belgique, en gage des réparations allemandes, que la signature par la Grande Bretagne et les Etats-Unis de l'accord sur les dettes interalliés, la condamnation du Pape Pie XI de l'occupation de la Ruhr et l'attitude de la Grande Bretagne qui estime, dans une première phase, également cette occupation contraire au Traité de Versailles. Il relève toutes ces contradictions et ces incohérences, alors que le fascisme se renforce déjà en Italie où Mussoloni consolide son pouvoir par des arrestations massives de militants socialistes et que Hitler se manifeste, bruyamment déjà, sur la scène politique internationale par son putsch manqué à Munich et enfin que le Général Primo de Rivera fait accepter au Roi Alphonse XIII l'instauration d'un directoire militaire en Espagne.Tahar Sfar perçoit les prémisses d'un renforcement de l'interventionnisme américain en Europe à travers notamment la proposition des Etats Unis de jouer" monsieur bons offices" dans le différent franco-allemand sur les réparations de guerre ,il note également le peu d'intérêt de cette nouvelle puissance- qui émerge depuis la première guerre mondiale- pour le Maghreb arabe, considéré encore comme "chasse gardée de la France ,comparativement à l'intérêt grandissant qui se manifestait déjà pour le "Machrék" arabe. Est ce qu'il entrevoit déjà le début du déclin de l'Europe au profit de la montée en puissance des Etats Unis qui se dessine après la première guerre mondiale? Nous ne pouvons pas le savoir avec certitude à travers les écrits et les notes qu'il nous a laissés.Tahar Sfar tente aussi d'analyser les conséquences historiques du Traité de Lausanne abrogeant le Traité de Sèvres imposé à la Turquie en 1920 tout en suivant avec beaucoup d'attention l'évolution de la situation politique dans ce dernier Pays où Mustapha Kemal avait déjà proclamé la République dés octobre 1923 en engageant un premier train de réformes importantes en Turquie. Certains commentateurs des journaux parisiens de l'époque signalaient que le Traité de Lausanne marque une date capitale dans l'histoire de l'Europe et même celle du monde arabo-musulman; en effet pour la première fois la Turquie, pays musulman est traitée comme une puissance occidentale et la guerre contre les turcs qui devait avoir pour effet de les repousser hors d'Europe contribue grâce au Traité de Lausanne de rapprocher la Turquie de l' Europe. En effet, depuis une décennie déjà, où même plus, une certaine élite turque et une partie de la classe politique prônaient et militaient pour des réformes qui s'inspiraient des institutions et de la dynamique du progrès scientifique du monde occidental; et voilà que les pourparlers de Lausanne s'achèvent, dés juillet 1923, d'une façon très favorable au gouvernement de Mustapha Kemal qui obtient presque tout ce qu'il souhaitait renforçant ainsi son autorité dans son pays et conduisant à l'avènement de la République : les frontières de la Turquie d'Europe redeviennent celles de 1914,la Grèce cédant la Thrace orientale jusqu'à Maritza. En Asie, Ankara reçoit la Smyrne et l'Arménie occidentale. Certes les Détroits sont internationalisés et surveillés par une Commission Internationale mais en contre partie toutes les forces d'occupation étrangères évacuent le pays, y compris Istanbul, la Grèce et la Turquie procéderont à un important échange de population pour tenter de régler le délicat problème des minorités.

La mort de l'homme politique et du philosophe que fut Maurice Barrés focalise l'attention de Tahar Sfar, sur l'itinéraire et la pensée de ce grand homme qui fut, avec Paul Painlevé et Pierre Taittinger, dés le 2 février 1922 parmi les auteurs et les députés signataires d'un projet de résolution en faveur de la Tunisie, ,( ce projet sera retirer par ses auteurs à la suite de évènements intervenues en Tunisie en avril 1922,où on vit pour la première fois un Bey, Mohamed Ennaceur ,tenter de soutenir les revendications des nationalistes tunisiens) demandant la promulgation avec l'accord du Bey de Tunisie, d'une "charte constitutionnelle fondée sur le principe de la séparation des pouvoirs avec une assemblée délibérante élue au suffrage universel, à compétence budgétaire étendue et devant laquelle le gouvernement local serait responsable de sa gestion" répondant ainsi aux sollicitations d'une délégation de nationalistes tunisiens dépêchée à Paris en décembre 1920 et conduite par notamment Tahar Ben Amar, Hassouna El Ayachi et Farhat ben Ayed. Cette délégation, qui fut reçu en audience par le président du Conseil français, s'est montrée plus modérée dans le fond et dans la forme en comparaison avec les revendications déjà exprimées par l'ouvrage qu'avait publié en 1919 à Paris A. Taalbi, avec l'aide d'Ahmed Sakka sous le titre de "La Tunisie Martyre".

On sait que cette publication intervient un an,a peu prés, avant la fondation à Tunis par notamment A Taalbi, du premier "Destour",sous la dénomination officielle de "Parti libéral Constitutionnel" .Tahar Sfar reproduit dans un de ses cahiers d'études, un article, qui avait certainement eu sur lui une forte impression ; il s’agit d’un article du journaliste Robert de Flers publié à l'occasion de la mort de Barrés:"Il avait été un homme politique, écrit Robert de Flers, dont la carrière avait embrassé une période très vaste: il avait vu le boulangisme, le Panama, la guerre, le défaitisme et, en 1919, le bolchevisme menaçant. Son cœur passionné des grandes traditions de la patrie l'avait toujours et d'abord porté vers l'endroit où le drapeau lui semblait engagé....il avait aussi été un homme de lettres et une grande personnalité. Ceux qui n'apercevaient en lui que nonchalance et que hauteur ne le connaissaient point. C'était en quelque sorte, un passionné de sang froid qui poussait jusqu'au génie le don tantôt de découvrir sous les réalités apparentes leur signification abstraite, tantôt de communiquer aux abstractions le frémissement et l'ardeur de la vie....Nul poète ne poussa à un point supérieur l'esprit philosophique; nul philosophe ne consentit à goûter avec plus d'abandon et de délicatesse le spectacle du monde extérieur...C'est ainsi que sa vision, à la fois impérieuse et docile des grands aspects de l'humanité, accueillait tour à tour la magnificence d'un satrape ou la discipline d'un janséniste. nous devons à cette mobilité singulière l’œuvre éblouissante de diversité qui va de Du Sang, de la Volupté et de la Mort, à la Colline Inspirée, du Jardin de Bérénice à l'Appel au Soldat, des Fleurs aux lauriers." Tahar Sfar semble avoir retenu de l'exemple de Barrés, le modèle de l'intellectuel qui ne renie pas les valeurs auxquelles il est attaché même dans l'action politique, tout dépend, en effet, de la finalité qu'on donne à cette activité: exclusivement l'accès au pouvoir pour s'y maintenir à n'importe quel prix et par n'importe quel moyen ou se mettre au service de son pays sur la base d'un programme consciencieusement élaboré et démocratiquement adopté puis scrupuleusement et métodiquement mis en œuvre.

 

Paris, Tahar Sfar hésita pendant sa première année universitaire entre une carrière de professeur de lettres et de philosophie, qui semblait mieux correspondre à sa vocation naturelle, à ses dons pédagogiques innés et à sa passion intense pour la lecture, et une carrière dans le Barreau, où le métier d'avocat lui offrirait plus d'occasions d'être en contact avec le vécu quotidien de ses concitoyens, et d'être également plus disponible, et mieux préparé à un combat dont il entrevoyait déjà les prémisses et esquissait avec Bourguiba les grands axes, mettant déjà l'accent sur l'importance de l'exclusion de l'utilisation de la violence en politique ,et essayant, aussi, de tirer des leçons des efforts de tous ceux qui les ont précédé dans la voie des réformes et de la lutte politique pour le rétablissement de la souveraineté de la Tunisie. On retrouvera les traces de cette conception des modalités de la lutte dans certains des nombreux articles que publiera Tahar Sfar de 1931 à 1938 notamment dans" La Voix du Tunisien" d'abord, dans "L'Action Tunisienne" ensuite:

A titre d'exemple citons d'ores et déjà ces deux extraits assez significatifs:

  • sous le titre "La Souveraineté Tunisienne",Tahar Sfar nous dit "...Le monde ,certes ,n'est pas gouverné par la Raison et par la logique, et ici comme en beaucoup d'autres choses, ce sont les forces en présence qui ont déterminé l'évolution du protectorat et qui ont imprimé aux institutions tunisiennes leur véritable direction. Par les textes aussi bien que par la pratique quotidienne,la souveraineté a été amputée de ses attributs essentiels et vidée pour ainsi dire de sa propre substance; de multiples atteintes lui ont été portées, soit d'une manière nette et précise à la suite de lois qui consacrent de véritables amputations, soit d'une façon insensible et progressive par le phénomène de l'usure des institutions tunisiennes et leur dépréciation....Et il appartient alors au peuple protégé, conscient de ses droits, d'élever la voix, pour rappeler à la nation protectrice ses engagements et lui demander de veiller à l'application des traités qu'elle a promis solennellement de respecter."
  • -Sous le titre encore de "La Souveraineté Tunisienne en Droit".Tahar Sfar, nous dit aussi, en citant des juristes français:" En ce qui concerne la Tunisie,si l'on se rapporte aux deux traités du 12 mai 1881 et du 8 juin 1883,on constate qu'en droit, l'autorité de la puissance protectrice est des plus restreintes et qu'elle ne s'exerce que sous une forme très atténuée, le Traité du Bardo laissait au Bey son entière autorité au point de vue intérieur, et le Traité de la Marsa n'est venu la modifier qu'en la limitant par le droit accordé à la France de mettre en oeuvre les réformes qui lui paraîtraient utiles, mais avec obligatoirement, l'assentiment du Bey.. »

Dés la fin de la première année universitaire,( juin 1924) Tahar Sfar optait pour une carrière dans le barreau tout en n'excluant pas, pour le futur, l'enseignement surtout du Droit et de l'Economie Politique .Il nous dira plus tard dans ses mémoires d'exil à Zarzis :"En m'analysant assez profondément, il me semble que je suis composé d'une personnalité double et juxtaposée ,l'une éprise de vie rangée, concentrée, méditative, amoureuse de solitude, de calme, de recueillement; l'autre au contraire emportée par la fièvre de l'action, pleine d'ambition ,prise par le désir de bâtir, de vivre d'une vie intense, de s'étourdir par l'activité débordante, les relations, les fréquentations, de se multiplier et de se diversifier en mille nuances et de mille manières. Et tour à tour dans mon existence passée, soit à Mahdia, soit à Tunis, soit en France, j'ai été l'une et l'autre de ces personnes-là".

Habib Bourguiba ne nous a pas parlé des idées et de la vision pour l'avenir de la Tunisie dont il avait largement débattu avec son camarade d'études et surtout pas des différences notoires entre leurs deux personnalités et cela, nonobstant, la profonde connaissance qu'il avait de la pensée et de l'itinéraire intellectuel de celui qui resta son fidèle ami dans l'adversité même lorsqu'il ne partageait pas certains de ses choix, ou certaines de ses initiatives: Tahar Sfar, pour sa part, a souvent signalé à mon grand père Mustapha que Bourguiba semblait, pendant la période de leurs études du moins, apprécier la confrontation libre des idées et qu'il se disait complètement d'accord avec lui pour faire en sorte que le combat politique qu'ils comptaient entreprendre ensemble devrait être une occasion privilégiée pour l'enracinement de mentalités propices au développement d'une authentique démocratie dans une Tunisie maîtresse de son destin; et ce n'est pas sans raison profonde que Tahar Sfar avait introduit son discours d'ouverture du Congrès constitutif du "Neo-Destour"à Ksar-Helal en 1934 en insistant sur le caractère fondamentalement démocratique que doit revêtir l'action du nouveau parti « à l'instar des partis réellement démocratiques de certains pays occidentaux ».

Tahar Sfar était profondément convaincu que l'humanité devait progresser notamment par la réhabilitation de la morale dans l'activité politique, il ne pouvait pas concevoir de progrès authentique et durable dans la société sans le triomphe de la vertu.Tahar Sfar, nous a laissé dans ses cahiers de notes, des traces des cours qu'il avait suivi à Paris, ainsi que les noms de certain de ses professeurs: Nous savons qu'il a suivi, en 1927, le cours intitulé "la vie politique et le rôle de l'Administration" de M Préhat, à l'Ecole des Sciences Politiques, comme il a suivi les cours, de M Le Fur en Droit Public International, celui de M Jéze en Droit Public, celui de M Capitant en Droit Civil, celui de M Truchy en Economie Politique, celui de M Berthélemy en Droit Administratif et celui de M Deroy en Finances Publiques à la Faculté de Droit; il a également assisté à certains cours sur la psychologie de l'art du professeur Henri Delacroix à la Sorbonne. On sait que J-P Sartre présenta en 1927,sous la direction du professeur Delacroix un diplôme d'études supérieures intitulé"l'Image dans la vie psychologique: rôle et nature", Tahar Sfar s'est peut être ainsi trouvé parfois assis, sans le savoir sur les bans des mêmes amphis que le futur grand philosophe et romancier français qui était de deux ans son cadet.Pour mieux saisir les convictions, la pensée, l'itinéraire intellectuel et politique de Tahar Sfar il parait utile, voir nécessaire de se remémorer le contexte général de l'époque, à travers les événements les plus importants que vécu notre région, la grande Europe et le reste du Monde, plus particulièrement, pendant la période du séjour de Tahar Sfar à Paris.Cette période fut en effet, comme les précédentes, riche en signes annonciateurs de bouleversements géopolitiques plus particulièrement en Europe, bouleversements qui ne pouvaient pas dans le court et moyen terme ne pas avoir de répercussions sur notre région.Comment peut-on qualifier cette période, 1924-1927 pleine d'ambiguïtés et qui constitue une sorte d'aboutissement des efforts de reconstruction et de rattrapage des années de guerre?Les discordances de la situation économique des pays occidentaux paraissent, pendant cette période, déroutantes mais globalement le rattrapage semble se réaliser, aux Etats-Unis comme en Europe, le secteur immobilier joue le rôle de locomotive, les nombres de logements construits atteignent des records; de même, l'augmentation exceptionnelle de la productivité dans les industries françaises notamment semble avoir permis de combler le retard accumulé depuis la veille de la guerre. La période reste caractérisée toutefois par la fragilité de la solidarité des Alliés et par des divergences sur l'épineux problème des réparations et des dettes de la guerre. L'ébranlement des impérialismes européens confirme la remise en cause de l'hégémonie de l'Europe sur le monde et la diffusion des idées nouvelles dans les pays sous régime colonial laissent entrevoir des possibilités crédibles de remise en cause de l'ordre colonial: Dés 1919,les idéaux du président Wilson ont des échos non négligeables et semblent sonner le glas du mythe de la mission civilisationnelle de la colonisation. La désunion entre les vainqueurs de la guerre apparaissait déjà depuis le rejet du traité de Versailles en 1920 par le Sénat américain...Tahar Sfar fut tout au long de ses études un analyste très critique d'une certaine classe politique française en faisant ressortir les faiblesses et les contradictions tant de sa politique intérieure qu'extérieure. Ses analyses étaient influencées par les valeurs auxquelles il était attaché presque d'une manière viscérale ; en effet ,pour lui faire de la politique, c'est, avant toute chose, se mettre au service de son pays avec abnégation et compétence en respectant soi-même et jusque dans sa vie privée les valeurs prônées pour le type de société qu'on prétend vouloir réaliser. Il avait en horreur les "méandres de la politique politicienne, opportuniste ou démagogique" Tahar Sfar, dés le début de son combat a considéré qu'en politique comme en toute autre activité ,la fin ne doit en aucun cas justifier n'importe quel moyen, il était foncièrement convaincu qu' opter pour le contraire, c'était ouvrir la voie au totalitarisme et à la répression qu'on est censé combattre.Pour Tahar Sfar, la lutte nationale qui se distingue d'ailleurs de la politique courante dans un pays souverain, doit exclure, en cette fin du premier quart du XXe siècle,le recours à la violence physique, en tant que système; parce que, celle-ci débouche sur la banalisation de l'usage de la terreur génératrice de dictature.La Tunisie ayant suffisamment souffert tout au long de son histoire des luttes souvent fratricides se devait de préparer une nouvelle élite bannissant la violence du combat politique et tout son peuple devrait être imprégné de cette impérieuse nécessité pour forger un nouvel avenir qui ne pouvait être porteur de progrès authentique et durable que dans la concorde pérennisée dans le pays, non par la force et la contrainte, mais par l'apprentissage de la vie démocratique respectueuse des droits et des devoirs de l'homme, de ses libertés fondamentales parmi lesquelles le droit à la différence non seulement dans les croyances mais également dans le domaine des idées politiques, économiques ,sociales ou culturellesEn pensant ainsi, Tahar Sfar restait un authentique musulman, fondamentalement attaché aux valeurs universelles de la civilisation arabo-musulmane qui doit, disait-il souvent, se débarrasser de ses archaïsmes et s'enrichir continuellement, pour rattraper le temps perdu et faire vivre dignement le peuple tunisien dans un monde où la science et la technologie feront de plus en plus la véritable puissance des nations.Son credo pour son pays était, avant toute chose,la formation d'un peuple instruit, cultivé et consciencieux capable d'assumer pleinement la réalisation de son destin.C'est pourquoi Tahar Sfar a toujours envisagé et préconisé une première étape dans le combat politique du mouvement national conduisant à l'indépendance, qui devait mettre surtout l'accent sur l'apprentissage par la pratique , par l'exemple et par l'éducation, de la vraie démocratie, et cela en faveur de l'ensemble des composantes du peuple tunisien. Cette mission devait être, selon lui, celle d'un grand Parti Nationaliste de masse qui ,laissant la place obligatoirement à d'autres partis et à d'autres courants de pensées, devait se fixer comme premier objectif de faire prendre conscience à l'ensemble des tunisiens, de leur appartenance à une même nation et de leur nécessaire participation pacifique au long et patient combat de libération nationale dont l'aboutissement lui paraissait, à plus ou moins long terme, inéluctable compte tenu de l'évolution qui se dessinait dans le monde . En tout état de cause, et je m'excuse auprès du lecteur de me répéter sur ce point du non recours à la violence physique, qui était et demeure capital pour l'avenir de notre pays, cela d'ailleurs s'est vérifié par la suite à de multiple occasions auxquelles nous aurons à revenir.Le combat politique de libération pour Tahar Sfar se devait d'être l'occasion la plus propice pour l'enracinement d'une sorte de culture de la démocratie, auprès des élites et des masses tunisiennes ;c'est pourquoi il insistait souvent dans ses écrits sur ce qu'on pourrait appeler la déontologie de la critique qui doit prémunir les partis contre les luttes intestines et stériles contre la démagogie et les comportements diffamatoires qui sont autant d'ennemies de la démocratie.Ce faisant,Tahar Sfar exprimait les souhaits profonds des élites successives qui ont milité depuis le début du siècle notamment, selon le contexte particulier à chaque période, pour une Tunisie souveraine et démocratique même si cela nécessitait obligatoirement un long apprentissage et de grandes et longues étapes.Si Tahar Sfar avait pu vivre jusqu'à la "guerre de libération algérienne" il n'aurait certainement pas été d'accord avec Frantz Fanon dans ses appels à la violence physique dans la lutte contre le colonialisme même si le cas algérien représentait un cas particulier qui devait nécessairement justifier la lutte armée. Michel Giraud ,dans son intervention intitulée "Portée et limites des thèses de Frantz Fanon sur la violence"à l'occasion du mémorial international"Frantz Fanon" en 1982, a très justement reconnu que "..Sur la question de la violence dans la situation coloniale, nous buttons effectivement sur une contradiction majeure ,contradiction qui n'incombe pas à une faiblesse d'analyse que l'on pourrait imputer à Fanon ,mais qui est inhérente à cette situation elle même .en effet si, comme nous l'avons déjà vu, la contre-violence du colonisé est "bonne" parce que légitime et nécessaire ,elle constitue en même temps, dans le présent et pour l'avenir, une menace potentielle pour l'avenir de l'humanité. De ce point de vue, même légitime et nécessaire, elle peut être dite un "mal".je dirai qu'elle est l'instrument d'un projet émancipateur ,mais un instrument à double tranchant, il convient d'en user avec discernement"

Michel Giraud, d'ailleurs ajoute" La grandeur de Fanon a été de dire en même temps la nécessité de la violence dans la lutte de libération nationale, et ses dangers."

Tahar Sfar a, suivi avec émotion et attention l'évolution de l'insurrection armée conduite par Abd-el-Krim au Maroc, qui après ses premiers succès contre les espagnols, se fait malheureusement écraser avec ses 20.OOO combattants valeureux par les 15O.000 hommes conduits par le Maréchal Pétain en personne et appuyés par des escadrilles de l'aviation française. Malgré ce déploiement de force, la résistance héroïque d'Abd el Krim, se poursuivra jusqu'au printemps 1926. Seul, en France, le parti communiste exprima, à l'époque, sa compréhension pour la résistance rifaine, par la voie du député Doriot à l'Assemblée provoquant l'indignation de la majorité de ses collègues députés.En 1927 ,Tahar Sfar convient et Habib Bourguiba partageait alors entièrement cette forte conviction, que ce n'est pas par les armes que le Maroc et la Tunisie, pouvaient et devaient, rétablir leurs souverainetés, mais par un long combat politique, pacifique et respectueux du Droit, conduit sur le sol national et sur la scène internationale en commençant par la sensibilisation des français de bonne volonté eux mêmes sur la réalité de la situation dans les colonies et sur cette grande supercherie qu'était la prétendue oeuvre civilisatrice de la France. Oeuvre qui, en réalité avait mis un terme à un grand et noble courant réformateur proprement tunisien, pour conduire, sous le masque du protectorat, à une colonisation rampante et un asservissement total du pays.C'est de cette double prise de conscience que commencent les premiers contacts de Sfar et Bourguiba, encore étudiants, avec les rares intellectuels et hommes politiques français de l'époque qui, par leurs timides écrits ou leurs déclarations manifestaient une certaine opposition à la politique de colonisation pratiquée par les autorités françaises. Ces contacts étaient fréquents notamment avec les associations à caractère humanitaire implantées à Paris et celles qui militent pour le respect des droits de l'homme malgré leur faible audience à l'époque, mais cela n'avait pas d'importance, les deux étudiants savaient qu'ils ne faisaient que leurs premiers pas dans ce qu'ils reconnaissaient être un long combat pour la "défense de la cause Tunisienne"dont la première étape devait consister en un retour à l'esprit premier du protectorat et à la lettre du Traité du Bardo qui n' autorisait la France à occuper que temporairement la Tunisie en lui laissant une souveraineté interne totale. D'ailleurs, il était déjà établi qu'aussi bien le Traité du Bardo, que la Convention de la Marsa, ont été détournés par les Résidents successifs représentants du gouvernement français en Tunisie plus particulièrement sous la pression et l'influence des ténors des colons bien implantés dans le Pays conquis et ayant à leur solde un groupe très actif à l'Assemblé parisienne chargé notamment de légitimer l'action d'une colonisation spoliatrice menée par les représentants des autorités Françaises et de masquer les actions d'appauvrissement systématique de la population tunisienne par une" colonisation de peuplement" nullement prévu par les traités.Au cours de l'année 1926, Tahar Sfar ne manque pas de relever, encore une fois, le développement des divergences dans le camp des Alliés alors que le fascisme continue à gagner du terrain en Italie d'abord, en Autriche et en Allemagne ensuite. "L'occident, disait souvent Tahar Sfar à ses camarades n'est pas entrain de tirer toutes les leçons de la guerre des années 14-18". La conclusion d'un traité Russo-Allemand inquiète certes "les Démocraties européennes" alors que la S.D.N.n'était qu'à ses premiers balbutiements pour tenter de créer un "nouvel ordre européen"Les relations Franco-Américaines restent dominées encore par la question de la dette de guerre de la France envers les Etats-Unis et la Grande Bretagne. Ces deux derniers pays refusant tout lien entre la dette française à leur égard et les sommes que la France est sensée recevoir de l'Allemagne.Le procès, des deux anarchistes d'origine italienne, Sacco et Vanzetti au Etats-Unis est l'occasion pour Tahar Sfar de faire du Droit Pénal comparé entre les principaux pays occidentaux et de se rendre compte du très faible effet des nombreuses manifestations de protestation de la société civile des pays européens sur la justice américaine , cela, malgré les insuffisances manifestes de preuves, qui ont entaché ce procès resté célèbre.L'année universitaire, qui clôture les études supérieures de Tahar Sfar et de Habib Bourguiba se termine par la montée sur le Trône du Maroc de celui qui sera le sultan Mohamed V ,Henri Bergson, pour sa part, reçoit, la même année le prix Nobel de littérature et Mao-Tsé-toung crée l'Armée de Libération Nationale en Chine.Pendant tout ce temps que se passait il en Tunisie?Tahar Sfar avait eu la chance de recevoir régulièrement, avec les lettres de son père des coupures des journaux et revues publiés en Tunisie ,en langue arabe et plus particulièrement la page littéraire hebdomadaire du quotidien En-Nahda;ainsi il était constamment tenu au courant des principaux événements de son Pays qu'il ne manquait pas de commenter avec ses camarades...Il avait quitté son pays pour ses études , après ce que les historiens tunisiens ont appelé la"crise de 1922"au cours de laquelle s'évanouissait un premier espoir du Destour de voir se réaliser ses revendications par la voie légale, après également, le voyage du Président de la République française Alexandre Millerand en Tunisie et après le simulacre de réformes du Résident Général Lucient Saint destiné, sans résultats d'ailleurs, à calmer l'atmosphère très tendue dans le pays, même si le petit "Parti Réformiste" tunisien avait considéré ces réformes comme une "étape positive".Manifestement les timides réformes de juillet 1922 ne pouvaient satisfaire la grande majorité des nationalistes tunisiens, seule une minorité, active dans la capitale, avait acceptée d'apporter son appui, aux réformettes du Résident Général, tout en attaquant dans certains journaux Tâalbi et ses compagnons pour ce qu'elle considérait comme de l'intransigeance et de l'absence de maturité politique. Essafi et Tâalbi sont même calomniés et accusés, sans preuves, par cette minorité de détourner à leur profit les fonds du Parti.Découragé, Thâalbi quitte la Tunisie en Juillet 1923 pour un long exil volontaire en Orient, où il pensait trouver un environnement plus propice à ses idées notamment sur l'évolution de l'Islam et celle du monde arabe notamment après la consommation de l'éclatement de l'Empire et du Khalifat Ottoman en faveur duquel il avait, pourtant, milité, au début de son activité politique. Thâalbi laisse à Essafi, à Salah Farhat à Mohiédine Klibi et à leurs camarades le soin de poursuivre la lutte au sein du Destour.Tahar Sfar avait pu également avant de partir à Paris, observer la nouvelle résistance qu'allait engager le Destour à travers ses journaux contre la loi du 20 Décembre 1923 sur les naturalisations, loi dont il saisit le grave danger à terme pour l'avenir de la Tunisie .Pendant les premiers mois de séjour en France de Tahar Sfar,de Habib Bouguiba et de Bahri guiga se déclenchèrent, en Tunisie, de nombreuses grèves ouvrières accompagnées parfois par des incidents graves ,le Destour commençant par appuyer les initiatives de Mhammed Ali pour la création de la Confédération Générale des Travailleurs Tunisiens, qui fut une sorte d'embryon du syndicalisme tunisien. Alors que Tahar Sfar et ses camarades entamaient leurs études à Paris une délégation du Destour composée notamment de Salah Farhat,d'Ahmed Essafi et de Ahmed Tawfik El Madani était chargée de se rendre dans la capitale française pour sensibiliser les députés et sénateurs français sur la situation en Tunisie, critiquer les prétendues réformes du Résident Général,Lucien Saint et présenter un programme de revendications en 9 points. Dans un mémoire intitulé " la question tunisienne" le Destour développe ses idées et explique à une opinion française, inquiète de ce qu'elle appelait alors "le péril rouge",qu'il n'est en aucune façon un allié du Parti Communiste.On sait que cette délégation ne fut pas reçu par les responsables français et qu'en Tunisie les autorités du protectorats ,alarmées par l'amplification des grèves, engageaient des actions de répressions et procédaient à l'arrestation des "Agitateurs" en les inculpant "d'atteinte à la sûreté de l'Etat et appel à la haine des races",Mhamed ali , d'autres syndicalistes tunisiens et le communiste Finidori sont ainsi arrêtés et accusés d'avoir fomenté un "complot Destouro-Communite".Ahmed Kassab écrit au sujet de ce procès, dans son ouvrage "Histoire de la Tunisie ,l'époque contemporaine" :"Le jour de l'ouverture du procès,le 11novembre 1925 des grèves dont la plus importante fut celle des dockers de Tunis,furent déclenchées en signe de protestation.Le procès dura cinq séances devant le Tribunal Criminel de Tunis;Il tourna purement et simplement au procès politique par le caractère même des inculpés et surtout des défenseurs. Me Berthon,député communiste parisien,assistait Finidori et Mhamed Ali,tandis que Es-Safi,Farhat et Djemaïl défendaient les autres détenus tunisiens.Berthon termina sa plaidoirie par une déclaration retentissante;"En vertu des traités de la Marsa,la France n'a qu'un droit en Tunisie,celui de s'en aller".Lui même n'avait rien à craindre en parlant ainsi, mais les avocats tunisiens tous chefs du Destour,furent très prudents, Ils s'évertuèrent tous à montrer qu'il n'y avait aucune collision entre le Parti Communiste et le Destour.Ils profitèrent de l'occasion pour reparler des revendications destouriennes et pour mettre l'accent sur leur compatibilité avec l'esprit des traités du protectorat.Ils affirmairent solennellement leur loyalisme,par la bouche d'Ahmad Es-Safi:"Nous savons que ,petit pays,la Tunisie ne peut pas être indépendante,qu'elle a au contraire tout intérêt à vivre sous le protectorat français"Ils manifestèrent si bien leur loyalisme qu'ils allèrent jusqu'à se désolidariser ouvertement du nouveau syndicalisme et de son promoteur Mhamed Ali.Reculade très grave qui permis au tribunal de prononcer un sévère verdict de bannissement contre tous les inculpés: 10 ans contre Finidori,Mhamed Ali et Ayari ;5 ans contre Kabadi,Ghanouchi et Karoui."

L'alliance avec les communistes ne donna donc aucun résultat,car malgré leurs dénégations de principe,les destouriens s'étaient réellement alliés a Finidori,sans toutefois oser s'engager à fond dans cette alliance.Ils eurent peur,au dernier moment d'une réaction brutale des autorités qui avaient la hantise du péril 'rouge'.Déçus donc par cette courte alliance,et après avoir,somme toute,vilainement lâché Mhamed Ali,les destouriens continuèrent seuls leur lutte."Le Destour sortit relativement affaibli de cette crise mais le jeune mouvement syndical prenait la relève et une certaine agitation continua dans le pays contraignant ainsi Lucient Saint à promulguer les décrets du 29 janvier 1926 qui limitaient encore plus la liberté de la presse et permettaient de poursuivre plus sévèrement les crimes et délits politiques.Les années 1926 à 1930 se caractérisèrent par une relative accalmie dans le combat national de libération de la Tunisie qui attendait un nouveau souffle que ne manquera pas de lui donner une autre génération de militants dés le début des années 30.

L'historien tunisien Ali Mahjoubi dans son article en langue arabe "Lecture de l'histoire du mouvement national tunisien"(1995) semble vouloir expliquer la mise en veilleuse de l'activité nationale pendant la période 26-30 essentiellement par la relative prospérité économique qui a prévalu à cette époque et notamment celle du secteur agricole, il finit par conclure à une corrélation systématique entre crise économique et vigueur de l'activité du mouvement national tunisien ,je pense pour ma part qu'il n'y a pas que le facteur économique et qu'il faut y ajouter de nombreux autres facteurs, dont notamment l'évolution des idées, l'augmentation du nombre et de la qualité des élites tunisiennes, l'accumulation des expériences et la géopolitique de l'époque.

les grandes lignes d'une nouvelle stratégie de combat politique, qui se situait dans la continuité du mouvement national tunisien, commençait progressivement à s'échafauder d'une manière informelle au cours des multiples entretiens de Bourguiba avec ses camarades d'études à Paris: tous étaient unanimes pour la nécessité d'un combat de longue haleine qui se fixait comme objectif premier le développement de l'éducation de l'ensemble du peuple Tunisien et comme moyens de réalisation le combat politique pacifique qui n'excluait aucun moyen légitime, combat gradué par la plume, par les réunions de formation politique, les grands meetings, les grèves et les manifestations encadrées lorsqu'elles ne sont pas interdites enfin et en dernière extrémité le boycott sélectif des produits importés de France et de certains services publics.

Tahar Sfar, au cours de ces entretiens ne manquait pas de se référer souvent au combat pacifique et efficace de Gandhi qu'il admirait beaucoup non seulement pour son pacifisme militant d'une efficacité redoutable, mais également pour les valeurs, l'éducation et les messages qu'il diffusait dans son peuple. Education politique et civique que Tahar Sfar considérait, répétons le, comme fondamentale non seulement pour la libération d'un pays mais également pour assurer par la suite la pérennité de véritables institutions démocratiques garantes d'un progrès authentique et reflet réel de la maturité d'une nation.

En Mars 1931,Tahar Sfar,écrira dans un article publié dans "La Voix du Tunisien" sous le titre anodin de" DOCTRINES ET FAITS NOUVEAUX"à propos de la situation des peuples colonisés "...Sentant qu'ils sont menacés de disparition ,que la misère et la faim les guettent, que la loi de la sélection naturelle se retourne contre eux;eux aussi se rapprochent les un des autres, s'unissent, joignent leurs faibles mains dans un mouvement de solidarité instinctive, puis ce plus en plus consciente, à mesure que s'aggravent les conséquences du régime d'inégalité et de servitude ,toutes ces foules, spontanément unies, finissent par comprendre que malgré la faiblesse ,à laquelle elles sont réduites en tant que producteurs, elles constituent néanmoins une force très grande comme consommateurs,que ce sont, en fin de compte, leurs multiples misères qui donnent naissance à ces richesses éblouissantes qu'elles observent chez les privilégiés, que c'est à eux à faire la loi au lieu de la subir servilement."

"Ces idées, poursuit Tahar Sfar, développées et précisées par l'élite, forment toute une doctrine d'émancipation politique et sociale qui fait irrésistiblement son chemin dans les masses exploitées;GANDHI a attaché son nom à cette doctrine et l'a replacée dans le domaine de l'action.

Il y a vu un moyen efficace d'arriver d'une manière certaine à la libération des peuples opprimés, SANS RECOURS A LA VIOLENCE et rien que par la mise en oeuvre des forces latentes contenues dans les droits économiques, il y a vu également un moyen habile de faire comprendre aux multitudes asservies combien, au fond elles sont indispensables aux maîtres de l'heure grâce à leur grande surface de consommation d'abord, et à leur importance dans le domaine de la production ensuite. User " du droit de ne pas acheter" apparut aussitôt comme une arme de défense très puissante et un procédé pratique et ingénieux pour s' imposer au respect et obtenir l'abolition d'un régime oligarchique ,fondé sur l'inégalité et

l'arbitraire. L'Inde fut le milieu où l'on fit l'expérience de ces nouvelles formules et où l'on mit à l'épreuve les nouveaux moyens de lutte;les autres pays asservis n'attendirent pas les résultats de l'essai;eux aussi, à l'exemple du peuple hindou ,lancèrent le mot d'ordre de "boycottage , de non-coopération"et de résistance passive." Tel fut le fil directeur de la philosophie politique à la quelle Tahar Sfar resta fidèle durant toute sa courte vie et cela nous fera mieux comprendre les attitudes et les choix de Tahar Sfar, aussi bien, pendant la crise de 1934-35 que pendant le drame de 1938 comme nous le verrons plus tard.

Dés l'été 1928, Tahar Sfar et Habib Bourguiba sont de retour en Tunisie ils sont déjà adhérents, depuis les dernières années de leurs études secondaires, comme simples militants au Parti dont le programme politique et dont les idées, du moins celles qui sont exprimées publiquement se rapprochent le plus de leurs propres convictions. Ce parti était connu sous le nom de" Destour" (constitution) il fut crée depuis l'année 1920 par notamment A.Thâalbi.

C'est une grande aventure à la fois exaltante et douloureuse qui commence pour Tahar Sfar rentrant au pays avec une licence en droit(5 juillet 1928:matières à option sur lesquels il a été interrogé:Droit Public,Droit Internationnal Public) ,deux certificats de littérature et un premier Prix en sciences politiques qui constitue pour lui, selon ses propres termes une sorte: "d'hommage que je rend à tous mes professeurs."

Il nous dira dans son journal d'exil à Zarzis qu'il souhaite préparer un doctorat és-sciences juridiques et peut être même un doctorat és- lettres. les contraintes de ses activités politiques et surtout sa mort prématurée en 1942 empêchera la réalisation de ces projets.

L'étudiant, qui rentre de France pour se mettre au service de son pays n'a nullement la prétention de jouer aux héros, il se veut, tout simplement, homme parmi les hommes et continuateur, respectueux et reconnaissant, des efforts de ceux qui l'ont précédé dans la lutte nationale;mais sa devise était celle qu'on fait dire à Térence cet enfant de Carthage du deuxième siècle avant J-C "rien de ce qui est humain ne m'est étranger".veau" du samedi 9 avril 1988.

CHAPITRE 2.

AU COEUR DE LA PREMIERE TOURMENTE.

1928_1935

"Penser est facile, agir est difficile. Agir selon sa pensée est ce qu'il y a de plus difficile " Von Goethe J.W.

Tahar Sfar n'est pas "un animal politique" écrit André Demeerseman dans son livre "Là-bas à Zarzis et maintenant..." et il ajoute : "mais l'impératif moral de l'action s'est imposé à lui durant toute sa vie. Militant inscrit dans un Parti, sa personnalité, son caractère ont été marqués par son idéal national, par son engagement politique. Plus à l'aise dans les spéculations que dans l'action, il s'y est livré par devoir. De sensibilité fragile, il n'était pas taillé pour supporter les chocs violents de l'exil, de la prison militaire. Sa santé en sera minée au point qu'il mourra jeune. il n'avait pas quarante ans. Ces faits qui sont certains ne le rendent que plus sympathique. le recul du temps, la publication de nouveaux documents permettent maintenant de le situer à sa vraie place...." "Dans le Parti ,Tahar Sfar joua des rôles importants: Secrétaire général adjoint(1934),membre du Bureau politique provisoire(1935),membre du bureau politique (1936),élu Président du Parti au Congrès national ,nomination suivie d'une démission(1937),secrétaire général du Bureau politique(1838),membre du Bureau politique (1938)."

A. Demeerseman, n’est pas le seul à faire un pareil constat au sujet de la personnalité de Tahar Sfar : Bourguiba, une fois à la tête de la magistrature suprême, a, maintes fois répéter en privée : « que son grand ami Tahar Sfar était un grand penseur et qu’il regrettait beaucoup de l’avoir entraîné dans les aléas de la politique ». Cependant selon notre grand père Mustapha et selon notre oncle Ahmed Sfar, ce n'est pas tant l'exil ni la prison militaire qui auraient miné la santé de Tahar Sfar mais c'est, pour une grande part, l'incompréhension et les comportements qu’ont eu à son égard en prison certains de ses camarades de lutte et plus particulièrement (1939-1939) celui qui fut son plus grand ami. Les comportements de certains de ses camarades de lutte en dénaturant ses idées et de ses prises de position sur l’inopportunité d’une rupture avec les autorités du protéctorat et de l’engagement d’une action violente à la veille d’une guerre mondiale qui pointait à l’horizon ont étaient les plus douloureux et les plus insupportables pour lui: son exil en 1935, dans le sud tunisien, nous savons déjà à travers ses mémoires de Zarzis, qu'il a su le transformer aisément en une occasion propice pour la réflexion, la méditation et la lecture, quand à sa dépression en prison en 1938,elle ne s'est réellement aggravée que lorsqu'il quitta la prison militaire pour la prison civile où il fut d'une grande sérénité, pendant les premières semaines comme en témoigne le contenu des lettres qu'il a pu écrire de sa cellule, pendant cette période, à ma mère. Lettres dont certaines ont été conservées pieusement et dont nous soumettrons aux lecteurs quelques extraits. Nous tenterons d'expliquer le drame, les déchirements et les désillusions vécus par Tahar Sfar notamment pendant les dernières semaines qu'il a passé en prison en 1939.

Lorsque, Tahar Sfar et Habib Bourguiba adhérent au Parti, la structuration du mouvement national tunisien est déjà inscrite dans les faits et même dans l'histoire pourrait on dire. On pouvait déjà distinguer, dés les années trente, au moins, deux grandes périodes: la période réformiste et évolutionniste, qui peut aller de 1906 à 1919,et qui fut donc celle de l'enfance et de l'adolescence de Tahar Sfar et la période des deux Destours qui commence avec la création du premier Destour en 1920 et qui s'est poursuivi jusqu'à l'autonomie interne de la Tunisie en1955.

Nous vous proposons de relire cet extrait du journal de notre père pour mieux saisir certains des contours de sa personnalité: il s’agit d’une esquisse rapide mais combien

Emouvante et objective que nous livre Tahar Sfar dans ses mémoires de 1935 sur le mouvement national tunisien alors qu'il était un de ses acteurs. « A notre insu, nous dit-il, et même peut-on dire, contre notre volonté, s'est fait une évolution lente mais sûre qui est à l'honneur des pionniers qui l'ont réalisée... Bach Hamba et Béchir Sfar.. Leur oeuvre a été d'éducation, de préparation des élites, tant de l'élite instruite en français que celle de la Grande Mosquée. Par le journal et par l'école, il ont été les agents de cette éducation, de ce premier éveil de la conscience d'une élite jadis divisée et morcelée, de cette première tentative d'organisation.. 'Le Tunisien' et la

' Khaldounia' furent les deux grandes assises de ce beau mouvement de rénovation. par le premier, Bach Hamba parlait de l'avenir, du prochain devenir de notre pays, faisant de la politique ou de la sociologie, traçait les linéaments d'une doctrine nationaliste et d'une évolution; par l'institut, Béchir Sfar s'entretenait du passé, attirait l'attention de la jeunesse d'alors sur les beautés de notre histoire, la valeur de notre race, la valeur morale de notre ancienne civilisation, la contribution puissante de cette civilisation à l’œuvre réalisée par les occidentaux. Ainsi ces deux grands hommes joignaient leurs efforts et l'un préparant l'avenir, l'autre parlant du passé, tous deux ainsi pardessus les siècles s'employaient à jeter les ferments du nationalisme tunisien et à armer la nation pour la lutte qu'elle va désormais entreprendre dans le but de sauvegarder sa propre sécurité. Dans le même temps, l'on voyait Kairallah, complétant la tâche de ces pionniers, s'occuper de l'enseignement coranique et L'Association Sadiki répandre par la lanterne magique et les cours dans les quartiers l'instruction dans les couches populaires et créer partout le goût et l'amour des études, la haine de l'ignorance. Ce fut alors l'engouement pour l'enseignement, ce qui permettra de marquer dans les programmes politiques qui vont suivre l'instruction obligatoire comme l'un des points essentiels de toute doctrine. Ce mouvement donne au Pays ses premiers journalistes en langue arabe et ses cadres d'élite et jette un pont entre lui et L'Egypte d'une part et l'Europe d'autre part, en permettant au peuple tunisien d'assimiler les richesses morales de l'Egypte et la valeur scientifique et économique des pays européens. Double effort de compréhension et d'assimilation, gros de conséquences dans l'avenir. Franchissement du stade mystique et théologique. le Pays se lance vers la conquête de son avenir."

" Puis, ce fut la grande tâche de Tâalbi, ce tribun populaire en langue arabe, de propager le mouvement dans les masses des villes, masses bourgeoises auxquelles viennent s'adjoindre peu à peu la grande masse des ouvriers et des artisans; le mouvement gagna de proche en proche, bourgeois d'abord puis de plus en plus populaire. Aux cadres d'élite vinrent s'adjoindre des cadres du peuple;le Parti Destourien fut crée avec son programme, l'ensemble de ses actions. A travers les controverses avec le parti réformiste et le livre :' La Tunisie Martyre', on vit apparaître les premiers balbutiements d'une doctrine politique nationale: Education du peuple par le discours, diffusion de l'instruction par les journaux en langue arabe, et surtout tentative d'une politique, d'un essai loyal de collaboration, tel fut le caractère et le sens de ce mouvement que vint marquer vers sa fin l'apparition du journal 'Le Libéral', dernier et suprême cri vers la collaboration loyale et la politique d'association franche."

"Dans l'entre-temps, M'hamed Ali apparaît et réussit durant son court passage en Tunisie, à grouper les masses ouvrières, à leur donner conscience de leur force et à jeter les premières bases d'une action syndicale qui devait porter plus tard ses fruits"

"Chadly Kairallah, esprit clair, plume incisive, sut après une période de carence et d'assoupissement, relever les courages et créer par un acte de foi, le journalisme tunisien en langue française dont il fait comprendre toute la valeur d'éducation et de propagande en Tunisie et au dehors."

"Puis, il fut dévolu à Habib Bouguiba*, remarquable par son énergie et par sa volonté inlassable, d'aller, tel un missionnaire,porter la voix de la nation jusque dans les campagnes et donner aux bédouins eux-mêmes conscience de leur valeur et de leur force."

"Mais tous Bach Hamba, Tâalbi, M'hamed Ali, Habib Bourguiba et tous ceux de leurs groupes, ne nous apparaissent-ils pas dans cette échelle ascensionnelle, dans le mouvement de ce peuple vers sa destinée, comme autant de points de repère qui en marquent les sinuosités et en décèlent le progrès constant? Et ainsi ce qui doit séparer les générations aide au contraire à les rapprocher. Cette variété d'activités est le meilleur signe de la cohérence du mouvement national."Un peu plus loin toujours dans ses mémoires de Zarzis, Tahar Sfar, adresse, à la jeunesse de l'époque, un message de sagesse qui demeure d’une grande actualité pour tous les jeunes de tous les temps." Et vous les jeunes...dont l'âme est un volcan jamais éteint ,ne dites jamais en jetant un regard courroucé et en consultant les étapes parcourues: qu'ont-ils fait, mais dites: étant donné ce qu'ils ont fait, qu'avons-nous maintenant à faire? Etant donné le chemin qu'ils ont parcouru, quelle distance il nous reste à parcourir?""..Que chacun fasse sa tâche sans récrimination et ne s'appesantisse pas sur les prétendues fautes d'autrui. Critique ne veut pas dire malveillance. On doit être uni dans la défense et spécialisé dans l'attaque.."

L'adhésion de Tahar Sfar, au Parti date de 1922,il n'avait, alors, que 19 ans et était élève de première au Collège Sadiki. Son activité politique ne commence toutefois, réellement qu'après la fin de ses études à Paris, avec une prédilection très nette pour l'activité journalistique. Il collaborera ainsi à plusieurs journaux de l'époque: En 1927 à l'Etendard tunisien, fondé par Chedly Khairallah, en 1931 à la Voix du Tunisien, en 1932 à l'Action Tunisienne et à la Voix du Peuple, en 1934 à El-Amal et également à la revue Leila, dans laquelle, il écrira jusqu'à la veille de sa mort.Malheureusement nous ne disposons pas de tous les écrits de notre père, certains journaux de l'époque ne sont pas disponibles en collection complète, mais l'échantillon d'articles et de textes manuscrits qui peuvent être consultés paraissent suffisants pour nous permettre de nous rendre compte que le militant Tahar Sfar ne s'est pas limité aux analyses et aux débats politiques, mais qu’il a réfléchi également et a laissé des messages dans des domaines aussi divers que l'éducation, l'économie, la fiscalité, les finances publiques, l'exégèse juridique ,la littérature, la philosophie et la sociologie. Certains de ses écrits demeurent d'une grande actualité et laissent entrevoir parfois une vision prémonitoire

.* En relisant son Journal en 1940 après sa sortie de prison il a inscrit en marge quelques commentaire :devant le nom de Bourguiba il a écrit ceci : « malheureusement ce leader, par son emballement, par une trop grande exaltation de sa part, devrait compromettre le sort d’un tel Mouvement en lui donnant un caractère qu’il n’a jamais eu à ses début en le marquant de son em

LE SYSTEME EDUCATIF EST LA CLE DU PROGRES AUTHENTIQUE:

Dés décembre 1929 ,Tahar Sfar proteste contre les retards apportés aux réformes attendues à la Grande Mosquée et écrit sur les colonnes de "l'Etendard Tunisien"sous le titre "AUTOUR DES REFORMES DE LA GRANDE MOSQUEE" "Voici un an environ passé depuis la grève des étudiants de la Grande Mosquée et la promesse qui leur a été faite de réformer l'enseignement qui se donne dans leur Université.

Depuis lors le silence et l'oubli semblent s'être épaissis autour des premières lueurs d'espoir....Mais la machine administrative est lourde à manier..Ne faut-il pas,en effet,en l'espèce,réunir une commission en vue de la rédaction d'un projet de réformes et préalablement faire un bon choix des membres devant faire partie de cette commission,entendre des avis,écouter des conseils,s'entourer de renseignements, fixer des modalités?....Il ne faut pas de se contenter d'apporter des retouches de détails, des réformes simplement administratives,c'est d'un changement radical de principe qu'il s'agit...

Notre siècle est à la science,donc à la synthèse,car la science est essentiellement synthèse,même quand elle s'appuie sur les résultats d'une analyse fouillée et préalable,la science est synthèse par ses lois, ses théories,ses hypothèses,ses formules;et l'éducation,en ce siècle essentiellement scientifique, qu'elle se fasse dans une institution théologique ou ailleurs,doit essentiellement contribuer à la formation d'esprits capables de vastes coups d'oeil,d'esprits constructeurs,bâtisseurs,d'esprits à base de géométrie et ce n'est que lorsque tous les esprits d'une élite donnée,auront été façonnés de la sorte, qu'on arrivera dans le corps social à l'harmonie,à l'entente,donc à L'ORDRE A LA PAIX."....

...".Pour cela,libérer l'enseignement des chaînes qui le chargent, supprimer ces textes courts commentés et grossis à de époques ou l'islam était décadent et revenir aux textes, plus amples mais simples et clairs des périodes de prospérité ou à ceux que des auteurs modernes sont entrain d'éditer en se conformant aux règles les plus récentes de la pédagogie;.....introduire la méthode synthétique qui exclut l'explication par petits morceaux,par fragments,...et conseiller le recours aux explications d'ensemble,....mais encore faut-il pour que ce plan soit réalisé que l'enseignement de la Grande Mosquée soit basé sur un enseignement primaire d'arabe solide,donné ailleurs ou à l'institut même et constaté par un titre uniforme correspondant au certificat d'études primaires en français,que d'autre part,le reste de l'enseignement soit divisé en secondaire et supérieur,qu'on se préoccupe surtout aux deux premiers degrés de la culture générale de l'étudiant,et au troisième de la question délicate de la spécialisation en divisant ces degrés en sections correspondant aux diverses spécialités conformes à l'esprit d'une université essentiellement religieuse..(droit musulman et théologie,histoire et géographie

,littérature arabe et comparée etc...Est-ce à dire que lorsque ces réformes seront instituées et appliquées tout sera dit et que le problème des études secondaires et supérieures d'arabe en Tunisie sera résolu?..Non certes....Il restera à combler d'autres fissures...Mais c'est là une tout autre question dont nous aurons à reparler un jour."(L'Etendard Tunisien du 6 décembre 1929).

Le 27 août 1931,Tahar Sfar revient sur les réformes de la Grande Mosquée sur les colonnes de La « Voix du Tunisien » sous le titre "Partisans et Adversaires"

"Nous avons écrit ,dit-il, dans le journal L'Etendard Tunisien une série d'articles pour traiter de la question des réformes de la Grande Mosquée et de la manière dont à notre sens elle devait être résolue;puis confiant dans les travaux de la commission qui s'est réunie à cet effet,espérant qu'après la campagne de presse qui a eu lieu et le mouvement d'opinion publique qui s'est révélé nettement favorable aux réformes,cette commission ne procéderait pas à la manière de ses devancières et n'aboutirait pas à un enterrement pur et simple de la mission dont elle a été chargée...Aujourd'hui nous apprenons avec un vif déplaisir qu'au sein de cette commission,une majorité de membres s'est prononcée contre les réformes,ce qui a donné lieu dans la presse et au sein du public tunisien à de très vives polémiques...qui nous donne un spectacle navrant d'une lutte intestine à laquelle certains publicistes,accompagnant leurs critiques de propos nettement diffamatoires et de calomnies monstrueuses,semblent se plaire tout particulièrement.

"Sans nous attarder à décrire et à démasquer les manoeuvres de certains intrigants dont le désir secret est de provoquer la division au sein du groupe de la 'Voix du Tunisien' et aboutir ainsi à l'affaiblissement de cet organe de la grande popularité duquel ils sont jaloux,sans répondre autrement que par le mépris le plus absolu aux critiques malveillantes,à la diffamation honteuse qu'on dirige contre le vaillant directeur de notre journal,sans songer le moins du monde à le défendre contre les attaques de ses adversaires,dont la lâcheté égale l'outrecuidance fatuité,car il n'a nul besoin d'être défendu,sa conduite passée étant,aux yeux de tous la meilleure preuve de sa haute valeur morale nos préférons nous arrêter,pour les réfuter,aux idées-si tant elles constituent des idées-que les adversaires du progrès opposent aux réformes de la Grande Mosquée.

On dit,pour empêcher d'aboutir ce beau mouvement qu'ont amené les deux milles Etudiants de la Grande Mosquée et qui a eu raison même de la résistance du gouvernement,que l'enseignement scientifique ne doit pas être donné,à la Grande Mosquée parce qu'il n'est pas conforme à la nature de cet établissement purement théologique,parce qu'il conduit les élèves auxquels les matières profanes sont enseignées,au doute religieux et à l'athéisme,parce qu'enfin cela pourrait amener l'immixtion des agents de la puissance protectrice,lesquels,appartenant à l'Etat laïque français,risqueraient de travailler, d'une manière ouverte ou souterraine à la disparition ou tout au moins à l'affaiblissement de l'enseignement des matières islamiques,au sein de l'Université de l'olivier: ce dernier argument,étant d'ordre politique,n'est pas formellement indiqué par les adversaires,mais demeure sous-

entendu dans leur raisonnement dont il constitue en quelque sorte la pièce maîtresse,l'élément le plus important."Reprenons un à un ,ces arguments, qui constituent à nos yeux autant de sophismes:

Et d'abord, disons que l'enseignement scientifique ne peut pas être contraire à la nature même de l'université de l'olivier,il le serait seulement s'il y était donné d'une manière exclusive ou prédominante;c'est là une question de proportion que les partisans des réformes ont résolue en déclarant qu'il est nécessaire que l'élève acquiert,au cours de ses années d'études,des connaissances scientifiques analogues à celles des écoles primaires françaises ou franco-arabes;cette réforme très raisonnable devrait,à leur sens,assurer à l'Etudiant une certaine culture générale,lui permettant de raisonner juste et de ne pas être totalement dépaysé au milieu de la génération du vingtième siècle à laquelle nous appartenons,d'autre part,il ne saurait y avoir de spécialisation,en matière religieuse ou dans n'importe quelle branche du savoir humain,s'il n'y a pas acquisition préalable des éléments de culture générale nécessaires à tout intellectuel;cette règle est tellement juste que nos plus grand théologiens,du temps passé,sont ceux qui comme Ghazali,Averroés et d'autres,ont joint à leurs études juridiques et religieuses,des études d'un ordre plus pratique comme la médecine et la physique;et actuellement,n'en déplaise aux adversaires des réformes,les meilleurs cheikhs de notre Mosquée,sont ceux qui, de leurs propres ailes ont volé dans les régions qu'on leur a interdit d'explorer;c'est ainsi que le cheikh Radouane est très cultivé en mathématiques et en astronomie,que d'autres cheikhs aussi éminents,connaissent fort bien l'économie politique et la sociologie.

"Ces savants ulémas,loin d'être moins bons musulmans que les autres cheikhs- qui ignorent totalement ces matières et s'en désintéressent-ont une foi plus solide, car ils ont une foi éclairée, qui apprécie Dieu à travers son oeuvre que seule la science peut atteindre.

Ainsi nous arrivons à la réfutation du second argument: Loin de conduire à l'athéisme,la science en éloigne;loin d'affaiblir la foi,elle la fortifie,loin d'amener le doute,elle provoque la certitude.La science donne à l'homme la possibilité de croire par le coeur et la raison. Les gens qui pensent encore -et c'est la plus grande offense que l'on puisse faire à notre belle religion-que l'islam ne peut se défendre que par l'ignorance des vérités scientifiques démontées par l'expérience,ignorent la vitalité de cette religion;ils ignorent que l'islam a poussé,s'est épanoui,s'est fortifié,par la discussion scientifique,au milieu de la découverte des lois qui régissent la matière et des grandes créations du cerveau humain.Craindre que l'enseignement de la science n'amène la décadence de la religion,C'EST FAIRE OEUVRE DE FANATISME OUTRAGEANT,c'est faire CROIRE AUX PEUPLES CIVILISES QUI NOS ECOUTENT,QUE NOUS SOMMES POUR L'OBSCURANTISME,QUE NOUS NE POUVONS GARDER NOTRE FOI QUE DANS LA MESURE OU NOUS REPOUSSONS LA PHYSIQUE ET LA CHIMIE QUI SONT A LA BASE DE LA CIVILISATION MODERNE ACTUELLE c'est à dire que, en quelque sorte, nous nous plaçons en dehors du cercle de cette civilisation;dire cela REVIENT A DIRE QUE NOUS SOMMES UN PEUPLE ARRIERE,QUE LES REFORMES POLITIQUES QUE NOTRE JOURNAL"LA VOIX DU TUNISIEN" RECLAME POUR LE PEUPLE TUNISIEN,CE PEUPLE EN EST INDIGNE: LES ADVERSAIRES DE LA REFORME EN ARRIVENT AINSI, EN FAISANT PREVALOIR LEUR PROGRAMME RETROGRADE ET INSENSE, A ETRE TRAITRE A LA CAUSE NATIONALE,A CETTE BELLE CAUSE QUE NOUS AVONS A DEFENDRE ,QUE NOUS DEFENDONS ET QUE NOUS DEFENDRONS TOUJOURS AVEC TOUT L'ENTHOUSIASME DE NOS VINGT-CINQ OU DE NOS TRENTE ANNEES AVEC TOUT L'AMOUR QUE NOUS RESSENTONS POUR NOTRE PAYS.

Non le PEUPLE TUNISIEN,QUE NOUS AIMONS,QUE NOUS CHERISSONS,NE LAISSERA PAS DIRE POUR REPONDRE AUX SOLLICITATIONS DE CERTAINS AMBITIEUX DESIREUX DE CONSERVER LEURS PRIVILEGES,AU RISQUE MEME DE CONTINUER A CROUPIR DANS LA FANGE MEURTRIERE,LE PEUPLE TUNISIENS,DIS-JE,NE LAISSERA PAS DIRE QU'IL EST UN PEUPLE ARRIERE ET DECADANT QUI CRAINT LA SCIENCE ET SES BIENFAISANTS EFFETS;IL NE LAISSERA PAS PRONONCER CONTRE LUI UNE PAREILLE CHARGE ACCUSATRICE;IL SE SOUVIENDRA DES DEUX MILLES ETUDIANTS EN GREVE IL N'OUBLIERA PAS LEURS EMOUVANTES PROTESTATIONS,COMME IL N'OUBLIERA SES DOCKERS ABANDONNANT LEUR TRAVAIL,IL SE SOUVIENDRA DE TOUT CELA ET IL SE DIRA QUE CE MOUVEMENT NATIONAL,UNANIME CONTRE L'OBSCURANTISME,DEMONTRE PLEINEMENT QUE NOTRE NATION EST OUVERTE A L'EVOLUTION DES IDEES,AU RENOUVEAU ET AU PROGRES ET QUE LA RESISTANCE DE QUELQUES INTERESSES,EN MAL D'HONNEURS OU CRAIGNANT LA LOURDE RESPONSABILITE DES CHARGES NOUVELLES,NE SAURAIT EN AUCUNE FACON DONNER A LA TUNISIE UNE REPUTATION DIAMETRALEMENT OPPOSEE A CELLE A LAQUELLE LUI DONNE DROIT SA VALEUR INTELLECTUELLE ET MORALE,MANIFESTEE DE DIVERSES FACONS."

"Arrivons enfin à ce dernier argument, à l'argument massue: l'immixtion du protecteur;et bien cet argument se retourne contre les adversaires qui sont en voie d'amener cette immixtion par leur résistance au désir exprimé par le peuple en général et en particulier par les milliers d'étudiants.....L'intervention officielle viendra non des réformes prises en toute liberté et pouvant être aménagées de manière à sauvegarder sur le terrain administratif ,l'autonomie entière de l'établissement religieux ,mais de la carence des membres de la Commission réunie pour élaborer un programme de réformes et qui a préféré s'abstenir de réformer quoique ce soit..

Disons pour conclure, qu'il y a une tentative d'étouffement des esprits, que le peuple tunisien, guidé par son élite vaillante et courageuse, ne laissera faire en aucune façon.

Le 16 septembre 1931 Tahar Sfar revient au même thème et il écrira toujours dans la "Voix du Tunisien" "...La question de la Grande Mosquée passionne les esprits depuis de nombreuses années; les réformes de l'enseignement à l'Université de L'Olivier ,toutes les questions qui touchent de prés ou de loin aux revendications des étudiants qui appartiennent à cette université, ont toujours présenté pour l'opinion publique en Tunisie et même pour l'opinion des musulmans en Afrique du Nord, l'intérêt le plus vif. C'est pourquoi nous sommes très heureux de voir les étudiants dans leur dernier Congrès prendre une attitude que nous avons conseillée dans ce journal et qui dénote de leur part en cette circonstance une maturité d'esprit et des qualités de jugement qui sont à louer.....Nous aurons à cœur, quant à nous, de donner des conseils désintéressés d'amis dévoués à la cause des étudiants, sans nullement prétendre les régenter ou les dominer; car le principe de notre action demeure toujours, quoi-qu'en dise nos adversaires ou même parfois des gens de bonne foi que trompent les apparences:

le 27 décembre 1931 Tahar Sfar écrira encore sous le titre" les réformes de la Grande Mosquée: études statiques et études dynamiques" dans les colonnes de L'Etendard Tunisien "Il y a deux manières de concevoir la conduite des études dans un établissement d'instruction: la première manière consisterait à n'enseigner les choses et les institutions qu'à un stade déterminé de leur développement,à en faire la description détaillée,à en démontrer le mécanisme;mais uniquement à ce stade ,sans se préoccuper de tout le développement antérieur ni des possibilités d'évolution future;une deuxième manière laisserait au contraire apparaître le perpétuel changement des choses et des idées,attirerait l'attention sur leur mouvement incessant,sur le continuel progrès.La première manière est celle qui est en honneur à la Grande Mosquée,où tout est étudié sous un point de vue que je pourrais appeler "statique"sans rattachement aucun au mouvement universel;on y a l'impression de l'immobile,du figé et par conséquent de l'absolu;tous les ouvrages d'enseignement se réfèrent à un moment déterminé du développement des idées et des doctrines et ne font rien apparaître de ce qui a précédé ou de ce qui a suivi;il semble à l'étudiant qu'on lui enseigne un code de vérités intangibles qu'il doit se résoudre à retenir par coeur,sans jamais essayer de le réformer;il est vrai que,pour la plupart des études qui sont d'un caractère formel,il n'y a point à parler de vérité ou d'erreur c'est plutôt d'une question de méthodologie d'exposition dont il s'agit,mais dans le domaine juridique,philosophique,voire même théologique,il n'en va point ainsi,il s'agit ,en effet là, de tout un système d'interprétations,de références,de raisonnements,de comparaisons,qui a commencé avec la civilisation musulmane et qui a reçu à mesure que se développait cette civilisation une extension de plus en plus considérable pour se fixer et se momifier à l'époque de la décadence;il s'agirait par conséquent,pour que l'enseignement soit fidèle aux réalités qui se dégagent de l'histoire et pour qu'il soit susceptible d'habituer les esprits à l'idée de mouvement,de progrès,de vie,il s'agirait pour cet enseignement de présenter tout un système d'idées et de doctrines dans tout son développement et non de choisir arbitrairement une période, une étape de ce développement seulement et de fixer sur elle toute l'attention en faisant abstraction de tout le reste;autrement dit,à côté des études du genre "statique",il faudrait établir des études d'un genre "dynamique" ou plutôt il faudrait mêler intimement les deux genres,.....

Comment,pourra-t-on assure dans le domaine des réformes,l'application des principes généraux que je viens d'indiquer?Il s'agit de donner aux études historiques,tant générales que spéciales(histoire du droit musulman,histoire de la littérature arabe et Nord-Africaine,histoire des idées philosophiques,histoires des religions ...)une importance qui leur fait défaut dans les programmes actuels parce que ces études sont d'un genre essentiellement dynamique;...bien plus,il faut que l'esprit de ces études pénétré dans les études du genre statique(droit musulman,théologie etc...)

D'autre part,il s'agit de permettre au professeur dtre en même temps un critique;bien plus,l'encourager à être personnel,original dans les matières qu'il enseigne et lui conseiller d'accueillir avec joie les observations et les remarques critiques de ses auditeurs;autrement dit, poser le grand principe que la formation des personnalités est autrement plus importante que la formation des consciences,car on n'agit véritablement sur les consciences d'une manière durable et effective qu'à travers des personnalités fortes,des cerveaux solides,des volontés agissantes...La foi et la Raison peuvent avoir leurs domaines respectifs...Mais CE DONT IL FAUT SE GARDER AUSSI DANS LES ETABLISSEMENTS D'ENSEIGNEMENT QUE PARTOUT AILLEURS,C'EST DE LES DRESSER L'UNE CONTRE L'AUTRE,D'EN FAIRE DES ENNEMIS A MORT REMPLISSANT L'HISTOIRE DE LEURS CLAMEURS ET DE LEURS INVECTIVES;LE SIECLE EST A LA RECONCILIATION;SACHONS EN PROFITER."

En juin 1937,moins d'un an avant les événements d'avril 1938,les Etudiants de la Grande Mosquée sont une nouvelle fois en grève et les réformes tant attendues ne viennent pas Tahar Sfar reprend sa plume et écrit dans le journal "L'ACTION" du 10 juin 37,sous le titre'LA QUESTION DE LA GRANDE MOSQUEE':...."L'attitude de la généralité des étudiants est dictée par des motifs nobles ,désintéressés,tous veulent pour leur Université un meilleur avenir,tous aspirent à ce que les futurs zietouniens ne viennent pas grossir les rangs d'un prolétariat intellectuel déclassé et abandonné à son propre sort:des perspectives de vie pleine et digne doivent entretenir la confiance parmi les étudiants...

"D'ailleurs,il faut reconnaître,à l'actif de ces étudiants,que pendant tout le temps qu'a duré leur grève, ils se sont abstenus de tout trouble, de toute activité passionnelle, de toute manifestation ostentatoire....Il convient que le gouvernement ne fasse pas la sourde oreille...Le prestige du gouvernement n'aurait rien à perdre s'il venait à prendre à l'égard de ces étudiants une attitude paternelle....en leur marquant l'intérêt qu'il prend à l'avenir de leur Université et à leur avenir propre.Ce serait, nous pouvons l'affirmer en toute conscience, une belle tâche à entreprendre et le gouvernement de ce pays n'aurait pas du tout à le regretter."

Nous avons déjà souligné que Tahar Sfar considérait,à l'instar de tous les réformateurs qui l'ont précédés, que le développement de l'éducation constituait la meilleure voix pour une libération nationale porteuse de progrès réel dans notre pays et nous trouvons cette préoccupation constante à travers ses très nombreux écrits sur le système éducatif, c'est ainsi que, par exemple, dans "L'ACTION" du 2 septembre 1937 il écrit sous le titre "La Question des Ecoles Coraniques"..."Des dizaines de demandes ont été adressées à la Direction de l'Instruction Publique pour l'ouverture d'écoles coraniques libres, de nombreux dossiers ont été constitués;des enquêtes ont été faites ;partout des locaux sont prêts à recevoir les enfants qui courent dans les rues ; des bienfaiteurs ont effectué d'énormes dépenses pour l'affectation de ces locaux à l'enseignement .Malgré tous ces efforts déployés ,malgré le désir exprimé par l'opinion publique de voir donner une solution favorable à cette question des écoles coraniques,les demandes continuent à moisir dans des dossiers poussiéreux.Un mois nous sépare de la rentrée scolaire;au mois d'octobre prochain,des centaines ,des milliers d'enfants peut-être vont être refusés aux écoles ,faute de places pour les recevoir;et, pendant ce temps il y aura dans un grand nombre de villes des locaux vides et des maîtres qui n'attendent pour commencer leur oeuvre d'éducation et d'instruction de ces malheureux petits qu'un effort de bonne volonté de la part d'une Direction qui a été instituée non pour contrecarrer l'instruction et s'opposer à sa diffusion,mais plutôt pour la favoriser et en assurer par tous les moyens le développement.

Qu'a-t-on à craindre en effet?Et pourquoi,tout d'un coup, cette résistance à agréer les demandes présentées, ce désir de s'esquiver, ces lenteurs de procédures?L'expérience faite dans le passé, on ne saurait le nier sans mauvaise foi,est concluante:Les écoles coraniques ouvertes jusqu'à ce jour ont donné de bons résultats; elles ont aidé à la diffusion de l'instruction dans le pays;sans concurrencer les écoles gouvernementales,elles ont en quelque sorte complété leur oeuvre;partout ,à Tunis,à Ksar-Hélal,à Mahdia la population n'a eu qu'à se louer du zèle du personnel appartenant à ces écoles et de leur rendement;aucune plainte ne s'est élevée à ce que nous sachions qui puisse constituer une accusation quelconque à l'encontre de ces établissements,soit pour ce qui concerne l'oeuvre même de l'enseignement ou de l'éducation soit pour ce qui touche à la moralité......Au moment où les pouvoirs officiels eux-mêmes avouent leur impuissance à répondre à la demande de la population en matière d'enseignement,au moment ou le gouvernement proclame sa carence,il est juste,...que l'initiative privée se charge d'une partie au moins de ce service public;l'empêcher de remplir ce devoir sacré ne peut être qu'une iniquité intolérable....Toute la Tunisie qui attache un grand prix à ce problème de l'instruction, attend dans l'anxiété que le gouvernement réponde favorablement à ce voeu

POUR UN RÔLE DE PREMIER PLAN DE LA FEMME.

Appuyant, avec une très forte conviction ,les idées de Tahar Hadad, Tahar Sfar a souvent tenter d'expliquer que l'islam bien compris a œuvré pour une authentique libération de la femme,et il a toujours pensé que l'émancipation de la femme notamment par l'éducation et l'enseignement constituait un facteur déterminant de progrès de la future société tunisienne .C'est ainsi qu'il écrit dans le numéro 3 de la revue "Leila"de mars 1937 sous le titre"Le droit musulman et le mouvement féministe moderne":"Un vaste mouvement féministe s'observe depuis un demi-siècle environ dans tous les pays d'islam,plus ou moins contrecarré dans son action par les forces conservatrices .....Depuis la guerre,principalement,ce mouvement a pris une ampleur considérable et réalisé ou amorcé dans la condition sociale et juridique de la femme musulmane de grandes transformations.L'évolution est plus ou moins poussée suivant les pays.c'est ainsi qu'en Turquie,on peut dire qu'elle a atteint son point culminant et abouti à une révolution complète;mais partout l'on constate la volonté de réagir contre les mœurs et les coutumes d'un passé récent."

"Bien entendu l'opposition gronde parfois au nom de la religion, du droit musulman,des bonnes mœurs même, et oblige à plus de réserve les partisans des réformes.Certains de ces féministe,dans leur désir de faire accepter leurs réformes par les masses clament que la source de ces réformes se retrouve dans le droit musulman dans son état de pureté,notamment dans,le Coran ou la Sounnah et que toutes les revendications du féminisme moderne sont en quelque sorte islamiquement réalisables.D'autres, au contraire,voulant couper toute attache avec le passé et rompre avec toutes les traditions,déclarent que rien ne peut se faire dans ce domaine avec le concours de la religion,le droit religieux étant,d'après eux, responsable de l'état d'infériorité de la femme dans les différents pays musulmans.La vérité ,d'après nous,ne peut se rencontrer dans ces affirmations extrêmes;le droit musulman ne mérite,peut-on dire,ni cet excès d'honneur,ni cette indignité.

Sans cadrer avec les différents aspects du féminisme moderne,sans prétendre réaliser les revendications extrêmes de ce féminisme,il reste néanmoins, dans un très grand nombre de cas, très libéral à l'égard de la femme,beaucoup plus libéral que ne peuvent le laisser croire les coutumes et les traditions qui ont pesé de tout leur poids sur les rapports entre époux dans les différents pays musulmans,d'un libéralisme qui souvent l'emporte sur celui d'un grand nombre de législations européennes même dans la période actuelle.C'est ainsi que beaucoup d'européens sont surpris,profondément surpris quand on leur apprend que le droit musulman reconnaît à la femme mariée une capacité civile pleine et entière qui lui permet non seulement d'administrer ses biens, mais d'en disposer d'une manière absolue.Il convient de dire qu'au début de l'Islam,la femme tenait une grande place dans le foyer et était consultée à propos de toute question importante qui intéresse la famille;le prophète lui même observait à l'égard de ses femmes une conduite empreinte du libéralisme le plus complet et basée sur la justice la plus stricte; comme ses actes autant que ses paroles faisaient foi;les recueils de hadiths ne manquaient pas de révéler dans ses moindres détails cette vie intime de notre prophète et même certaines petites scènes de famille;on trouve notamment dans les "TABAQUAATS"d'IBN_SAAD des détails circonstanciés et plein de saveur sur la parfaite correction et la délicatesse du prophète à l'égard de ses épouses.Même dans le dernier discours qu'il a prononcé à la Mecque et qui s'appelait "LE SERMON DE L'ADIEU"le prophète tint, dans des paroles émouvantes et fortes ,à recommander aux fidèles rassemblés,d'avoir à l'égard de leurs épouses et des mères de leurs enfants,l'attitude la plus juste et la plus douce.L'importance de ces actes et de ces paroles du prophète ne peut échapper à tous ceux qui savent que la "SOUNNAH"constitue une source essentielle du droit musulman,or ce droit en ce qui concerne la condition de la femme présente un caractère moyen en quelque sorte ,à égale distance entre l'extrême asservissement de la femme et son extrême affranchissement:s'il est vrai de dire qu'il ne fait pas de la femme la créature de l'homme,qu'il ne la soumet pas à ses caprices et ne tolère pas du mari les manquements aux règles de la bienséance qui doivent présider à la vie en commun dans le foyer,il est vrai de dire également qu'il astreint la femme à une certaine discipline,l'oblige à garder une certaine réserve et n'autorise en aucune façon les excès où semblent se complaire nos féministes modernes. Le droit musulman tel qu'il a été,tel qu'il se trouve développé dans un certain nombre d'ouvrages juridiques,permet un relèvement sensible dans la condition sociale et intellectuelle de la femme musulmane d'aujourd'hui,par la suppression de coutumes désuètes et de traditions millénaires rétrogrades,mais il n'autorise pas les excès que d'aucuns recherchent en se basant sur des absolus métaphysiques bien plus que sur les réalités de la vie .

Aussi nos intellectuels que passionne cette question de la femme doivent-ils,au lieu de rechercher des exemples ailleurs que dans leur milieu,se plonger dans l'étude de ce droit empreint d'un libéralisme mesuré certes mais réel,afin d'y découvrir,au delà de traditions peut être équitables,des traditions plus anciennes aux-quelles ils pourraient accrocher le mouvement évolutionniste et réformiste dont ils escomptent être les pionniers et les artisans.

Un livre comme celui de Rachid RIDHA dont on fête ces jours derniers le souvenir"APPEL AU SEXE DELICAT" est remplie de cet enseignement......"

Tahar Sfar,ne s'est pas uniquement préoccupé de la condition de la femme dans le droit musulman,dans le N° 7 de mars 1938 il essaye de présenter une rapide synthèse de la condition de la femme dans l'histoire de l'humanité."Beaucoup de personnes ,écrit Tahar Sfar,s'imaginent que la condition de la femme a suivi en quelque sorte, automatiquement les progrès de la civilisation et que les adoucissements apportés à cette condition,très précaire,aux premiers temps de l'histoire et de la préhistoire,sont dus à l'élévation du niveau moral de l'humanité,à l'apport des nouvelles conceptions philosophiques et morales.Au fond,il n'en est rien. La condition de la femme a traversé,aux différentes époques de l'histoire et chez tous les peuples et peuplades de la terre,une série de phases auxquelles la morale est demeurée étrangère;c'est plutôt sous le coup des nécessités économiques qu'on a observé dans cette condition, les transformations les plus importantes et les plus durables."

"Dans les sociétés primitives,la femme a joué un rôle économique extrêmement important;un grand nombre des découvertes et des inventions qui se sont produites aux premiers âges de l'humanité ont procédé de l'imagination créatrice et du dévouement fécond de la femme;c'était d'ailleurs elle, bien plus que l'homme qui était le pivot de la famille;le rôle biologique de l'homme est demeuré complètement ignoré chez un grand nombre de peuplades primitives et la femme seule,dans son^rôle de mère ,groupait autour d'elle,les différents membres de la famille;chez un grand nombre de sociétés primitives,on a vu le mâle vivre dans la famille de son épouse,rattaché à cette famille et se dévouant pour elle."

"Dans l'histoire de l'humanité,le régime du "matriarcat" où les droits de la femme étaient les seuls reconnus,où la parenté et l'héritage avaient lieu par les femmes,a précédé chronologiquement le régime patriarcal où l'intégralité du pouvoir a été transmise à l'homme qui a fini par devenir le chef incontesté,le maître absolu,ayant droit de vie et de mort sur la femme,pouvant même la transmettre entre vifs ou la léguer comme une chose ."

"Ce sont des transformations d'ordre économique qui ont été à l'origine de ce bouleversement dans la condition de la femme: la substitution de l'industrie,plus compliquée,à l'art agricole et surtout à la vie pastorale a permis au sexe fort d'assurer sa suprématie,d'arracher en quelque sorte l'autorité et le prestige à la femme;celle-ci a fini peu à peu par perdre le rôle économique de premier plan qu'elle assurait au sein de la cellule familiale et s'est vue ravalée au rang d'objet de luxe,destiné à satisfaire les exigences et à consentir au plaisir du sexe masculin, pendant longtemps elle fut l'esclave de l'homme,soumise à ses caprices,obéissant sa loi,courbée sous son autorité;elle mena longtemps une vie misérable,sans joie et sans grandeur et cessa d'être le moteur puissant, le centre d'attraction,le foyer de rayonnement qu'elle a été aux premiers âges de l'humanité.On vit,chose qui parait surprenante,la femme,en Grèce,du temps de Périclés par exemple,soumise à une loi plus dure que chez les Indiens de l'Amérique ou les peuplades de la Russie primitive: la civilisation,le progrès des arts et des lettres,loin de provoquer l'amélioration de sa condition a paru au contraire l'aggraver;il y a là l'une de ces contradictions qui défient la logique mais qu'explique néanmoins sans la justifier,la nature intéressée et portée vers la domination de l'homme."

"Les religions révélées ont été une réaction contre l'état d'asservissement de la femme et les conséquences fâcheuses du régime patriarcal;elles ont essayé d'introduire des éléments de morale dans cette organisation basée uniquement sur l'intérêt.Le Christianisme fit du mariage un sacrement et posa comme principe essentiel,l'indissolubilité du lien matrimonial.L'Islam,tout en ayant une conception plus souple de l'union conjugale,favorisa le mariage et,réagissant avec netteté contre les moeurs de l'époque, éleva résolument la condition de la femme;le sermon d'adieu du prophète fut un appel pathétique,d'une émotion intense en faveur de la femme."

"Malgré la précision et la force de ces commandements religieux,la condition de la femme continua,nonobstant de sensibles améliorations,à être précaire,sous l'effet des circonstances économiques et de certaines institutions,telle que l'esclavage.La femme fut de plus en plus choyée et aimée,mais toujours en tant qu'objet de plaisir,destinée à satisfaire les appétits du sexe fort et non pour ses valeurs d'humanité,ses possibilités de création et de production scientifique ou artistique.Il fallut pour assurer l'émancipation de la femme,que s'engageât la lutte contre le régime économique lui- même;l'avènement de la grande industrie,en assurant de plus en plus le triomphe de la femme ouvrière,libéra définitivement la femme de ses liens,éleva sa condition et en fit l'égale de l'homme dans tous les domaines;mais elle désorganisa en même temps la famille et démantela le foyer.Tant il est vrai qu'ici bas il est extrêmement difficile de réaliser les positions d'équilibre qui sont,au point strictement humain les meilleures positions;l'humanité est condamnée à toujours aller,comme dans un mouvement de pendule,d'un extrême à l'autre."

"Ainsi la petite industrie qui a succédé au régime agricole et à l'état pastoral,fit de la femme une esclave ,et de l'homme un tyran.La grande industrie,au contraire,en réalisant l'émancipation complète de la femme brisa le lien qui devait en faire l'associée de l'homme et détruisit le foyer.Ce fut là l'origine de la crise sociale des temps présents et peut)être que cette idée n'est pas étrangère aux affreux bouleversements et à l'inquiétude auxquels on assiste aujourd'hui;car les familles étant en quelque sorte des corps intermédiaires entre l'Etat et les individus,elles assurent d'autant mieux leurs fonctions d'éléments de stabilité et de paix,qu'elles sont elles mêmes mieux organisées et plus cohérentes.Si dans une société donnée,les individus se sentent et s'apprécient plus comme individus que comme membres de telle ou telle famille,autrement que pères,mères ,fils,frères,etc;ils se trouvent naturellement beaucoup plus portés à se laisser imprégner de certaines mystiques,plus ou moins dangereuses;car chez eux le sentiment de brièveté de la vie humaine l'emporte sur l'idée de permanence de la famille;au contraire quand dans un pays donné,se développent le sentiment de la famille,les idées d'ordre,de stabilité,de paix se développent aussi et s'enracinent;la société cherche à se maintenir et use pour y parvenir des moyens les plus pacifiques.De cette analyse il résulte que pour lutter contre les guerres il faut fortifier l'institution de la famille,il faut revenir à l'enseignement de la religion et tempérer l'ardeur que ressent le sexe faible pour une émancipation totale et sans limites qui est à la véritable émancipation ce que la licence est à la liberté."

"La femme peut et doit être libre;mais elle n'a pas besoin pour cela de briser tous liens avec son mari,ses enfants,de "vivre sa vie" pleinement,sans se soucier de la fonction essentielle qui lui est dévolue comme mère,d'abord,comme épouse ensuite;qu'elle se souvienne qu'à l'aube de l'Humanité,elle a été la "déesse"véritable du foyer,son ange gardien,qu'elle fut celle qui a fait progresser les pratiques agricoles et les travaux artisanaux tels que la poterie,la vannerie,le travail du bois et même la construction et qu'avant d'avoir l'idée de donner à leurs dieux figures de patriarches,les anciens avaient pour coutume de les représenter sous les traits de déesses."

" La femme doit évoluer certes, mais en conservant le sentiment de sa féminité et en cherchant toujours à assurer de mieux en mieux, le rôle qui lui est échu et dont la grandeur ne peut être mise en doute."

Sincèrement convaincu de la noblesse et de l'importance du rôle de la femme Tahar Sfar revient sur ce sujet encore une fois en écrivant dans le numéro 5 de la même revue "Leïla" du mois d'octobre 1939"...Ce rôle est immense,de premier plan;son importance augmente de jour en jour à mesure que se développe la science..."

"Ainsi,on peut dire,avec raison,que la science,après avoir éloigné la femme de son foyer,tend à la replacer chez elle,à la réconcilier avec les siens,à la rapprocher de son mari et de ses enfants."Mais la femme,réintègre son foyer, sans rien abdiquer de sa liberté reconquise;elle entend désormais partager son temps entre ses occupations du dehors et les joies que peut lui procurer son séjour au sein de sa famille;elle entend apporter à sa famille les fruits de l'expérience qu'elle a acquise par son contact avec l'extérieur,par sa vie dans cet air libre qu'elle a respiré;elle retourne au foyer,non pas en femme claustrée,opprimée et recluse,de nouveau dominée et esclave,instrument de plaisir et objet d'apparat,mais en femme libre qui veut reprendre fièrement et de son propre gré son oeuvre d'altruisme faite de sacrifice et de dévouement....".L'Etat doit l'aider dans cette tâche,à laquelle elle voudrait désormais se consacrer,en lui assurant une protection efficace contre tous les ennemies,quels qu'ils soient,ceux du dehors et du dedans:...."

Quand on sait qu'aujourd'hui de nombreux prospectivistes nous laissent entrevoir un XXIè siècle qui verra le triomphe des valeurs féminines on comprend aisément que la pensée de Tahar Sfar,autant que celle de son compatriote Tahar Hadad, en ce qui concerne le rôle de la femme était prémonitoire.« L'ORDRE PUBLIC ET LA TRANQUILLITÉ DE LA SOCIÉTÉ N'ATTEIGNENT UN DEGRÉ ÉLEVÉ QUE DANS LES SOCIÉTÉS OU LA LIBERTÉ DE LA PRESSE EST ENTIÈRE »:Avec la nécessaire réforme du système éducatif et l'émancipation bien comprise de la femme, Tahar Sfar considérait que la liberté de la presse est un des fondements de la société de progrès et déjà en mai 1931 dans les colonnes de "La Voix du Tunisien" il écrit sous le titre"La liberté de la presse en Tunisie":"Pendant que le peuple Tunisien s'apprête à fêter à sa manière, sans faste et sans apparat, l'avènement de la nouvelle année, de l'année 1350 de l'hégire, voilà qu'un gros nuage survient à l'horizon: deux journaux arabes, l'un quotidien, En- Nahda, l'autre hebdomadaire, El-Ouazir, sont suspendus par le même arrêté ministériel qui porte-ô ironie!-la même date que le Traité du Bardo.""Ainsi cinquante ans sont passés depuis le jour qui marque officiellement l'avènement du protectorat en Tunisie et l'on est encore au stade de l'application rigoureuse aux journaux de ce pays, des lois draconiennes par lesquelles on refuse à la Pensée le droit de s'exprimer librement et aux diverses opinions celui de s'affirmer pleinement en public.""On nous a parlé de progrès réalisés, de transformation effectuées, de perfectionnements apportés;l'acte de répression qui vient d'atteindre le même jour deux journaux arabes et de frapper le peuple Tunisien dans deux de ses organes les plus précieux, prouve mieux que tous les raisonnements que, sur le terrain moral principalement, on n'a fait que rétrograder.""Les liens sont tellement étroits entre ce domaine et le champ d'activité économique que la vie, même matérielle, se retire d'un peuple, lorsque parvenu au stade où il lui faut exprimer fortement et franchement ses idées, où il faut à ses élites discuter sur les solutions aidant au relèvement économique et social, il se voit néanmoins obligé par un régime qui l'étouffe, à ronger son frein en silence ,à taire ses appréhensions et ses désirs, à refouler au plus profond de lui même ses douleurs et ses peines.""Il y a longtemps que nous savons que la Tunisie est privée de ce qu'on appelle communément dans les pays d'Europe la liberté de la presse, liberté qui n'a été acquise, en France même, que tardivement et au prix de mille efforts;mais nous nous plaisions à croire que notre Résident actuel se garderait bien de faire application, aux journaux de ce Pays, de nombreux textes législatifs, dépassés en la matière et surtout des fameux décrets de 1926 qui punissent même l'intention et que le prédécesseur de Monsieur Monceron ,pour calmer l'opinion, a promis un jour de laisser tomber purement et simplement en désuétude;nous nous plaisions à croire que le successeur de monsieur Lucien Saint, tiendrait à honneur de marquer son séjour en Tunisie, par une politique des plus libérales qui serait la meilleure récompense pour un peuple que tous les Officiels ont proclamé " résolument pacifique" et qui ne mérite par conséquent pas le sort rigoureux qui lui est fait actuellement.""Malheureusement, nous sommes obligés de déchanter: Hier, la Résidence informe qu'une plainte a été déposée par le Directeur de l'Instruction Publique contre notre journal, parce que le Directeur de celui-ci aurait exprimé une parole qui aurait paru un peu vive , quoique vraie ,au milieu d'un débat sur l'usure appuyé sur une étude scientifique et objective de ce terrible fléau que tout le monde ,y compris nos gouvernants, avait stigmatisé et contre lequel, de l'avis de tous ,une lutte acharnée et poussée ,doit être vigoureusement menée.""Aujourd'hui on interdit deux journaux, dont un quotidien à très fort tirage, qui longtemps a été accusé d'être l'organe semi-officiel du gouvernement, et qui, s'étant ressaisi et ayant exprimé, avec les multiples atténuations et réserves, quelques vérités d'ordre politique et social, se voit brusquement victime des foudres officielles, l'Autorité ayant complètement oublié son passé d'ami,de conseiller prudent pour ne se souvenir que de quelques critiques-fort innocemment exprimées ,d'ailleurs.""On demeure stupéfait à imaginer l'état lamentable de notre Presse Tunisienne, réduite à cinq hebdomadaires en langue arabe, paraissant régulièrement et deux quotidiens, tous à Tunis;c'est une misère! Le gouvernement, soucieux du bien public, aurait dû encourager la parution de nouveaux journaux, tant pour avoir vue sur l'opinion publique, que pour contribuer à son éducation;par un renversement malheureux de l'ordre naturel des choses, on trouve ce nombre trop fort pour un pays qui compte deux millions d'habitants, et, en un trait de plume, par un arrêté qui n'a même pas besoin d'être motivé, par une décision administrative prise souverainement sans recours possible, on empêche de paraître deux de ces journaux; on condamne à la mort intellectuelle, les milliers de lecteurs qui se plaisaient à travers ces rares pages imprimées, à suivre jour par jour, les nouvelles du monde et celles de leur pays, s'échappant pour de courts instants, à la prosaïque tâche quotidienne;on prive de leur gagne-pain et on livre à l'affreuse misère les trente-cinq personnes employées au quotidien, ainsi que les familles qui sont à leur charge."Pourquoi une telle rigueur dans la répression? La Dépêche Tunisienne mentionne laconiquement: "Cet arrêté a été pris à la suite de la campagne de dénigrement systématique et d'attaques tendancieuses que ces deux journaux menaient depuis plusieurs mois contre les institutions du protectorat, et qui était de nature à troubler l'ordre public dans la Régence.""Il suffirait de traduire quelques articles pris n'importe où, dans ces deux journaux, pour faire justice d'une telle assertion;on y verrait au contraire, une critique pondérée, objective, sans parti-pris, de ces institutions;la Nahda, même a toujours limité son exploration au domaine économique et social, évitant presque toujours les coups d'œil "dangereux" dans le domaine proprement politique ,bien qu'en réalité il ne doive pas être interdit à des citoyens de discuter les questions politiques qui concernent leur pays."La prudence devenue proverbiale du journal " la Nahda" n'a pas empêché le gouvernement d'en prononcer la suspension!"" Le gouvernement entend-il donc imposer silence à l'opposition, quelque modérée qu'elle soit, et ne plus conserver que les journaux à sa dévotion? Veut-il désormais vivre au milieu des sourires factices et des airs de convention, sans jamais prêter l'oreille aux plaintes qui montent d'un Peuple qu'écrase une crise terrible, ni faire attention aux mouvements qui le secouent?""La Tunisie, qui veut vivre, conserve en tête ses revendications ,la liberté de la presse et l'abolition des décrets de 1926 ;plus que jamais, en cette période de souffrances et de misères, cette liberté apparaît comme indispensable à la Nation; Aussi poserons-nous résolument le problème devant le congrès général de La Ligue Des Droits de l'Homme et du Citoyen qui se réunira bientôt à Vichy pour discuter de diverses questions relatives à la colonisation. Cette Ligue, comme son l'indique suffisamment, défend les droits de l'homme ,sous toutes les latitudes;elle est gardienne des belles traditions révolutionnaires issues de la France de 1789, de ces traditions que cette nation, dans un élan de désintéressement et de foi, a exprimées vigoureusement dans la fameuse Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen et qui ont été répétées ou sous-entendues dans toutes les constitutions ultérieures. Depuis ,les hommes se sont faits malheureusement plus pratiques ,surtout quand il s'est agi des colonies;ils firent de la discrimination entre leurs semblables et usèrent d'arguments spécieux pour priver un grand nombre d'entre eux des droits " prétendument inviolables et imprescriptibles""Heureusement pourtant que la ligue des Droits de l'Homme,vient de se souvenir des devoirs sacrés qui lui incombent; son Bureau Central vient de voter une motion qui nous satisfait pleinement. C'est dire, que nous n'avons nullement l'intention ,comme nos adversaires nous le reprochent, de "jeter les Français à la mer".Nous avons tout lieu de croire que cette motion sera approuvée par le congrès;et alors nous demanderons aux membres de celui-ci de passer des paroles aux actes et de mettre tout en branle pour aboutir à l'internationalisation des questions coloniales et à la création auprès de la Société Des Nations, d'un organisme chargé de les mettre à l'étude et de recueillir les pétitions que lui adresseront les intéressés"" Ainsi il apparaît que souvent des événements circonscrits et localisés comme la suppression d'un journal dans un pays donné, si petit soit-il par la place qu'il occupe dans la carte géographique, peuvent être le prélude de transformations profondes dans l'ordre des choses proprement humain""La destruction, dans le présent, peut être la cause de créations futures qui la dépasse en ampleur et en portée et des faits en eux-mêmes malheureux sont la plupart du temps à l'origine de grandes et d'heureuses réformes."Tahar Sfar reviendra souvent dans ses différents articles au thème de la liberté de la presse,c'est ainsi qu'il écrit encore dans "L'Action Tunisienne" du 22 décembre 1932:" Il est inconcevable qu'à une époque où toutes les opinions ont besoin de s'exprimer,où la nécessité sociale la plus évidente exige qu'elles s'expriment en toute liberté,pour éclairer le législateur sur les aspirations de la Nation,les difficultés de l'heure présente,et les solutions qui s'offrent pour les résoudre,il est inconcevable qu'à un tel moment,on continue à pratiquer en Tunisie le régime du bâillon par l'asservissement de la presse et le système des interdictions et des refus injustifiés.""La suppression qui se renouvelle sous nos yeux,des journaux et des revues qui déplaisent à l'administration,soit par les articles qui s'y insèrent,soit par la couleur politique des personnes qui y écrivent,constitue une atteinte,sans cesse répétée,et intolérable,au droit des gens,et à l'un des principes les plus sacrés de tout régime démocratique qui se respecte: savoir la liberté pour tout citoyen d'exprimer publiquement ses opinions,par la parole ou par la plume.....Et lorsque l'opinion qui s'exprime,ou veut s'exprimer,appartient au domaine de la science pure ,au champ de la recherche désintéressée et positive et c'est le cas des revues,telle que la revue "EL Alem",récemment supprimée,la défense faite à cette opinion de se révéler,n'est plus seulement la résistance au plus sacré des droits individuels,mais aussi une atteinte au droit de la société entière,éprise de plus de lumière et de vérité."

"Que si l'on invoque des raisons tirées de l'ordre public,de la tranquillité de la rue,alors il est facile de répondre que cet ordre et cette tranquillité n'ont jamais atteint un degré aussi élevé que dans les pays où la liberté de la presse est entière et n'est limitée que par la nécessité de ne pas porter atteinte à l'honneur et à la considération des personnes,dans leur vie privée;jamais,à aucun moment,on n'a constaté que cette liberté ait engendré des troubles quelconques."

"Bien plus sous un régime de liberté toutes les opinions s'expriment et s'affrontent parallèlement et aucun des groupes qui luttent,n'éprouve la nécessité de recourir aux moyens violents: partout l'on se dit que la vérité finira par triompher grâce à sa force de persuasive que l'on aboutira bientôt à une ère de bonheur et de prospérité."

"Lorsque,par contre,on prive un parti politique important et qui compte de nombreux adhérents,du droit de répandre librement ses idées,de faire entendre sa voix,alors ,mais alors seulement,en raison de l'oppression qui s'exerce,l'esprit révolutionnaire s'éveille,se développe;un vent de révolte souffle et l'on songe aux moyens de secouer un joug qui devient trop lourd."

" Ainsi l'eau,qui se répandait librement sur de vastes étendues,lorsqu'elle vient à être emprisonnée dans d'étroits espaces,entre en fureur et tend à briser les digues qu'on lui oppose: Loi non seulement sociologique mais physique."

"Ce raisonnement est tellement évident que c'est dans les pays qui ont eu à souffrir d'un régime de dictature, que l'on a vu se former,malgré et contre tous,des associations secrètes et se développer les mouvements révolutionnaires,à tendance nettement violente."

" Aussi,est-il d'une très mauvaise politique et d'une administration déplorable,d'essayer de briser un mouvement aussi ample,aussi étendu que le mouvement destourien,en supprimant les organes qu'il s'adjoint et en refusant systématiquement à autoriser la parution de tous ceux qu'il essaie de créer."

" Croit-on par là couper les ailes à un parti qui compte,à travers la Tunisie,des centaines de milliers d'adhérents,dont la fougue militante n'est pas près de s'éteindre?"

"Croit-on empêcher la progression de l'idée nationale qui pousse le peuple tunisien tout entier vers la réalisation de sa libération,et l'anime de ce vouloir vivre collectif qui est à la base de tous les mouvements d'émancipation anciens et futurs,alors que cette idée nationale est à l'heure actuelle,par suite de nombreux facteurs qui se sont exercés,une réalité tangible et saisissable,présente aux cerveaux de tous les tunisiens,non seulement de ceux qui appartiennent aux générations montantes,mais même des représentants des vielles générations,elles aussi remuées par le désir de respirer à plein poumons,l'air pur de la liberté."

" Les perturbations les plus graves ne prennent naissance que lorsque des Gouvernements, oubliant leur mission qui est de développer partout l'instruction et de réaliser l'harmonie des intérêts individuels et de l'intérêt général, cherchent au contraire à opposer une résistance systématique et acharnée à la progression de certaines idées-forces en vue de faire régner l'obscurantisme, à la faveur duquel ils espèrent durer ,appuyés qu'ils sont sur des oligarchies financières, des puissances d'argent."

Mais la poussée des foules ,éprises d'idéal, de vérité, désireuses de connaître les maux dont elles souffrent, les véritables causes de leur misère et de l'ignorance où on les plonge,brisent les digues qu'on essaie en vain d'élever autour d'elles,pour les maintenir dans un état de sujétion.""Les gouvernements bien inspirés évitent ce choc brutal,par les libertés qu'ils accordent aux peuples dont ils ont la charge;ils s'appuient sur les masses plutôt que sur une minorité puissante de gros financiers et s'assignent comme but celui d'assurer le bien-être du plus grand nombre et non l'enrichissement de quelques élus.""Tout récemment, le gouvernement,obéissant sans doute aux tendances libérales du nouveau parlement de France,a accordé au peuple tunisien la liberté syndicale,en spécifiant que les droits seront égaux pour les français résidant dans ce pays,et les tunisiens."C'était la une bonne chose à retenir à l'actif du gouvernement,un progrès réalisé.Mais comment concilier les tendances libérales que révèle ce décret tout récent sur la liberté syndicale,et le maintien,bien plus,l'application sévère des décrets de 1926 sur la presse,application qui a abouti à la suppression de la revue "EL Alem",écrite en langue arabe et destinée,dans l'esprit de ses fondateurs,à propager la culture arabe et à faire connaître aux lecteurs l'histoire de la Tunisie?""Un gouvernement peut-il sans être taxé d'illogisme et de contradiction,se montrer libéral,animé de bonnes intentions,dans un domaine déterminé de l'activité sociale,puis,dans d'autres domaines exercer une dictature que rie ne justifie......""....un gouvernement indécis,tiraillé dans différentes directions,qui accorde de temps en temps de petites concessions par crainte de l'impopularité,sans s'engager à fond dans la voie des grandes réformes qui, seules, sont de nature à sauver un pays entier de la ruine totale et un peuple de l'anéantissement,un gouvernement qui tergiverse en un mot,qui ne se résout point à l'application d'une politique ferme et résolue,conçue et réalisée dans l'intérêt des masses gouvernées,qui se contente de suivre au jour le jour les événements,sans les commander,qui retire d'une main ce qu'il accorde de l'autre,qui hier,vous accordait par un trait de plume la liberté syndicale,faisant preuve d'un parfait libéralisme,et aujourd'hui,par un autre trait de plume,vous supprime une revue et vous en refuse une autre,un tel gouvernement, à la vérité,renonce délibérément à sa mission créatrice,à sa mission de sauveteur,de réformateur."A une époque de crise violente qui risque de tout emporter,comme celle que nous traversons,le peuple a surtout besoin de réformes profondes et complètes,donnant entière garantie au pays pour assumer son destin.""L'une de ces réformes,et non la moins importante,c'est l'octroi de la liberté de la presse et l'abolition de la législation qui l'étouffe."Tahar Sfar a couvert par ses écrits des thèmes divers se rapportant aux rapports de la culture et de la technique,à la définition du concept de civilisation,aux rapports entre les valeurs matérielles et les valeurs morales,entre Orient et occident entre la langue arabe et la notion de patrie tunisienne;il nous a également parlé de la décadence des industries tunisiennes,de la famille,de la justice tunisienne,de la souveraineté tunisienne ,des revendications politiques ,économiques et sociales tunisiennes,de la fiscalité,des tendances sociales de la littérature arabe contemporaine.Il a été,à l'époque, un des rares intellectuels tunisiens à dénoncer publiquement par une série d'articles dans la revue "Leïla" les dangers du nazisme et des conceptions racistes d'Hitler et cela dés l'année 1939 alors que ce totalitarisme était à son apogée.nous allons dans les pages qui suivent soumettre à l'attention des lecteurs de très larges extraits d'une partie des écrits de Tahar Sfar qu'il faut bien entendu placer dans le contexte de la période de leur publication qui s'étend de 1931 à 1942.Nous laisserons aux lecteurs le soin de découvrir ce qui reste d'actuel dans ces écrits qui permettent par ailleurs de mieux saisir la personnalité de leur auteur.IL N'Y A PAS NÉCESSAIREMENT DIVORCE ENTRE LA TECHNIQUE ET LA CULTURE."Il y a,écrit Tahar Sfar, une différence profonde et capitale entre la "culture" et ce qu'on est convenu d'appeler la "technique"et, souvent,la confusion la plus absolue règne,dans les définitions qu'on donne à ces deux termes;on aboutit de la sorte à de grossières erreurs et à de faux jugements;car,il faut bien définir les termes pour avoir les idées claires et bien juger:"La technique,c'est l'ensemble des procédés,des méthodes,des recettes par lesquels,dans chacun des domaines de la connaissance humaine,on peut aboutir à des résultats quelconques,pratiquement utiles,à des résultats utilisables par l'homme,pour la satisfaction de ses besoins matériels ou moraux: ces procédés,ces méthodes sont,en général,aisément transmissibles par l'enseignement et peuvent être facilement importés d'un pays dans l'autre;on peut les apprendre et les transmettre à d'autres;c'est ainsi qu'on peut parler d'une technique du droit,d'une technique de la médecine,d'une technique du théâtre,d'une technique du commerce et de l'industrie,etc..." Plus spécialement,la"technique" s'applique aux différents arts et métiers par lesquels se développe et s'intensifie l'organisation matérielle des pays qui sont entrés dans le courant de la civilisation moderne;tels sont par exemple: l'art de l'ingénieur,de l'architecte,de l'homme d'usine,etc... La "culture" a une signification différente et s'applique à un ordre d'idées essentiellement distinct: elle désigne plutôt,peut-on dire,les modes de penser,de sentir,de vouloir,acquis par un peuple donné,au cours de son histoire,l'ensemble de ses conceptions,de ses manières de réagir,de se comporter en face des événements,tout ce qui fait son originalité,"son génie national";la culture désigne aussi tout l'héritage des richesses morales transmises à ce peuple par l'ensemble des générations précédentes,les traditions,les coutumes,les usages qui lui ont été légués,soit par les ancêtres,soit par les peuples avec lesquels il est entré en contact,ou dont il a subit la domination;tout cela constitue la culture,qui est comme on le voit ,quelque chose d'essentiellement interne,quelque chose de plus profond et aussi de plus précieux que la technique, qui est relativement plus facilement transmissible: la culture ne s'apprend pas en quelques jours;elle pénètre peu à peu les peuples et les individus à la suite d'une longue fréquentation,d'un contact prolongé;pour profiter de la culture d'une nation,il faut fréquenter des années et des années ses bibliothèques et ses facultés,lire ses ouvrages,visiter ses musées,écouter ses maîtres;etc..."La technique s'acquiert sans qu'il soit besoin de changer ses habitudes,ses conceptions,ses modes de penser,de vouloir: elle peut se superposer à une culture qui lui est entièrement différente et faire bon ménage avec elle: une technique moderne peut ainsi s'allier chez la même personne avec une vielle culture;mais il n'en est pas de même de la culture;on peut certes allier deux cultures;mais pour cela,il faut les rapprocher l'une de l'autre,les corriger l'une par l'autre,leur donner un même air de famille,pour arriver ensuite à les superposer ou même à les mélanger et à les fondre ensemble,à réaliser par la combinaison de leurs éléments une forme de culture,originale et nouvelle;et ce travail d'adaptation est souvent pénible;il donne lieu parfois à de véritable crises,bien douloureuses,à des cas de conscience et peut produire à un moment donné une véritable anarchie dans les idées et les sentiments;mais à la longue,tout finit par s'ordonner,par s'arranger selon les lois de la culture la plus forte,de celle qui finit par imprégner le plus puissamment la personnalité du sujet.""Il y a des pays à forte culture et à technique rudimentaire,superficielle;dans ce groupe,on peut faire entrer un certain nombre de pays d'Islam,par exemple dont la technique n'a pas eu au cours des siècles l'évolution de leur culture et dont l'éveil à la civilisation moderne date seulement des dernières années.""Il y a par contre des sociétés où la culture est encore en formation ou simplement empruntée à la culture d'autres peuples mais qui se distinguent néanmoins par une technique très avancée:ce sont les nouveaux pays,fortement industrialisés,placés sous le régime de la grande industrie capitaliste dont l'élément essentiel est la machine."Il y a enfin les pays à vielle culture et à technique moderne,tels que les pays d'Europe et principalement le groupe latin.""La technique caractérise la civilisation quantitative qui frappe l'esprit surtout par la quantité des produits,des articles de toutes sortes,des marchandises qu'elle lance dans le monde,surtout des produits et article en séries,dus au travail des machines: La culture est à la base de la civilisation qualitative qui se résout essentiellement en qualité de l'esprit,de l'âme,en mode de penser,de sentir,de vouloir,en traits intellectuels et affectifs ou en actes moraux.""La technique est force , puissance;la culture est finesse,délicatesse,beauté;la technique est poids,masse ,volume;la culture est esprit,éther;l'art grec,voilà de la culture;l'usine américaine,voilà de la technique."Maintenant,il n'y a pas nécessairement divorce entre la technique et la culture;très souvent,elle se complètent,se prêtent naturellement appui,réagissent l'une sur l'autre et font bon ménage ensemble;une belle culture s'allie ainsi à une puissante technique et toutes deux contribuent à donner à la société qui en est pourvue l'armature politique et économique qui fixe sa place dans le monde et lui assigne son rang dans le concert des peuples civilisés.""Une culture est d'autant plus appréciée,elle a d'autant plus de valeur,qu'elle est plus vielle,qu'elle fait date,pour ainsi dire, qu'elle a plus d'histoire,qu'elle remonte quant à ses origines à une époque plus ancienne;mais il faut qu'elle ait été renouvelée par des apports successifs,un flux incessant d'idées nouvelles,de sentiments nouveaux;il faut qu'elle ait été sans cesse fécondée par d'autres cultures: une vielle qui se cloître,qui par orgueil se referme sur elle même et s'isole,se condamne elle-même à l'étiolement et au dépérissement: elle finit par se déclasser,par perdre son rang et ne conserve plus qu'une valeur historique;les sociétés à vielle culture stationnaire sont des sociétés qui piétinent sur place et se maintiennent dans un état d'infériorité proche de la barbarie: leur culture a beau être raffinée,d'un genre élevé,l'esprit de conservatisme dont elle s'imprègne,en empêchant son adaptation au courant moderne,sa coopération au progrès général,son évolution détermine son impuissance,sa stérilité,en quelque sorte et la rend incapable de jouer le rôle de levier par rapport à la société qui en est pourvu.""La technique, au contraire,apparaît d'autant plus parfaite qu'elle est plus moderne,qu'elle résulte de l'application des conceptions scientifiques les plus récentes;les vielles techniques sont abandonnées ou n'existent que comme routines,dans les sociétés attardées;les pays neufs qui sont entrés résolument dans le courant de la civilisation moderne sont obligés par la force même des choses de renouveler constamment leur technique,de se mettre sans cesse à la page,en suivant incessamment le progrès scientifique qui procède par bonds autour d'eux.""On peut s'imprégner d'une certaine culture,sans ressentir en soi-même,profondément,intensément,une sympathie pour cette culture et pour le peuple ou la société qui la représente: c'est là pourtant une condition primordiale,essentielle,capitale pour prétendre à la véritable connaissance de cette culture;tandis que pour apprendre une technique,aucune condition,aucune condition d'un ordre affectif quelconque,n'est requise: là le terrain est absolument neutre;la transmission d'un procédé de fabrication,par exemple,se fait en quelque sorte ,automatiquement,il y faut simplement le minimum d'intelligence et les qualités d'esprit nécessaires pour donner lieu à l'effort de compréhension exigé; mais pour comprendre,pour sentir les beautés d'un morceau de poésie,pour pénétrer l'état d'âme d'un poète,pour admirer en lui,l'ensemble des générations dont il est issu et dont il traduit le plus souvent,dans ce morceau,la manière de penser,de sentir et de vouloir,pour saisir,en lui,le passé de la nation à la quelle il appartient,les richesses morales transmises au cours de ce passé,il faut autre chose qu'un simple comportement de l'esprit,de l'intelligence;il faut surtout et essentiellement des qualités de cœur, des états d'âme,une attitude affective positive et réelle."
 

DE QUOI DEMAIN SERA-T-IL FAIT?

"Le peuple tunisien attend,dans la fièvre,la réalisation des réformes démocratiques qui ont été annoncées;déjà,dans un certain nombre de milieux,se manifeste une certaine inquiétude dont les signes deviennent de plus en plus évidents.Cette inquiétude apparaît,aujourd'hui,d'autant plus légitime que la présente génération a assisté dans le passé,à un certain nombre d'enterrements de première classe;même à une certaine époque,il est devenu de pratique courante de promettre des réformes qui ne seront jamais réalisées ou dont la réalisation subit une série d'avatars en chemin,au point,de les rendre totalement méconnaissables;des commissions d'enquête sont instituées;des discussions,des rapports;un beau feu d'artifice;puis brusquement,à propos d'un événement quelconque le rideau tombe;changement complet de décor;......"Beaucoup d'esprits craignent la réédition de pareils errements et redoutent pour le peuple tunisien de nouvelles et peut-être de plus amères déceptions.

"Nous autres,qui avons demandé à la population tunisienne d'avoir confiance en un gouvernement dont les bonnes intentions et la sincérité ne sauraient être mises en doute,nous ne pouvons pas,néanmoins,nous abstraire de ce courant gagné par l'inquiétude;car ce gouvernement,malgré sa sincérité,peut-être débordé par les courants de la réaction,s'il ne se montre pas agissant et vigilant.

"En matière politique,il ne s'agit pas seulement d'avoir de bonnes dispositions;il faut agir et agir au bon moment,au moment opportun: une opération chirurgicale peut être efficace ou, au contraire,entraîner pour le patient des conséquences néfastes,suivant le moment choisi pour y procéder.L'attente,les tergiversations,les hésitations sont souvent aussi nuisibles que l'inaction absolue."

"En Tunisie,il y a des transformations qui sont devenues nécessaires,mais dont l'urgence est également manifeste;il faut évidemment,après l'élaboration d'études techniques et des consultations préalables,procéder avec célérité à ces transformations;car,en laissant se perpétuer un état de choses dont on annonce par ailleurs ou dont on fait pressentir la disparition,on ajoute aux vices ordinaires et normaux de cet état de choses; de nouveaux défauts provenant des grincements d'une vielle machine qui se sent dangereusement menacée dans ses privilèges illégitimes"...;L'Action Tunisienne 13 mai 1937

AUTOUR DE "L'AFFAIRE".

"Il ne s'agit pas de l'affaire Dreyfus,qui a partagé en la France en deux camps et fait couler beaucoup d'encre;il s'agit de l'affaire de Moknine, qui aura son épilogue devant le Tribunal Criminel de Sousse et qui rappelle aux Tunisiens des journées sombres,douloureuses,les fameuses journées de septembre (1934);par la faute d'un homme,qui était loin de représenter le véritable esprit de la nation française,un peuple entier tout entier s'est soulevé,dans un sursaut d'indignation;presque dans toutes les villes de la Régence ,des manifestations monstres eurent lieu,pour protester contre les mesures d'exception qui ont été prises par le Gouvernement contre les chefs du mouvement destourien;mesures injustes et illégales au premier chef,mesure consacrant l'arbitraire le plus absolu et la dictature la plus atroce et la plus folle;en une nuit,par l'effet de décrets qui n'avaient pas encore vu le jour,des hommes en qui le peuple avait mis tous ses espoirs,sont arrachés à leur sommeil,à leurs femmes,à leurs enfants,et dirigés vers le Sud où les attendent les brimades et les vexations de toutes sortes;le lendemain,quand cet acte abominable était déjà consommé,la population atterrée,apprend l'atroce nouvelle par un communiqué laconique de la résidence et prend connaissance en même temps du texte des nouveaux décrets(qui sont pourtant anciens puisqu'ils avaient été scellés dés le mois d'avril 1934 ).Le même jour,le journal l'Action en langue arabe(EL_AMAL) était suspendu."(L'Action Tunisienne,en langue française était suspendue depuis le 30 mai 1933)

"Le premier décret abrège le délai à partir duquel les lois et arrêtés sont exécutoires.

"Le second,se référant aux décrets-scélérats ,prescrit que dans des cas jugés "peu graves "(ô,ironie des mots),on peut appliquer aux tunisiens l'interdiction de séjour dans un ou plusieurs contrôles civils,sans consulter le conseil des Ministres,par décision unilatérale du Résident Général."

"Le troisième de ces décrets aggrave les dispositions des décrets-scélérats de 1926.

"Le quatrième décret punit de six jours à trois mois de prison les manifestations,cris affiches et chants "séditieux".

"Ces mesures qui étaient prises,sans délibération,sans consultation préalable,étaient trop graves par leur portée et leurs conséquences pour pouvoir être tolérées par le peuple tunisien qui souffrait d'une crise économique sans précédent et d'un régime politique déplorable.

"Aussi spontanément,la grève générale fut déclarée;car dans toutes les villes,magasins et boutiques fermèrent;les marchés furent désertés;la population entière descendit dans la rue."

"Dans le calme,à Tunis et dans la province, des manifestations de plusieurs milliers de personnes s'organisèrent,à Tunis,les manifestants se portèrent devant la Résidence et envoyèrent une pétition au Résident.Le second jour,ce fut la manifestation de la Marsa qui s'adressa à S A le Bey: celui-ci déclare à la délégation qu'il reçoit que le Résident a promis de rendre aux exilés leur liberté dans les quarante-huit heures."

"La population réconfortée par cette promesse,retourne à Tunis dans le calme."

"Mais à l'intérieur ,où la nouvelle ne parvient pas immédiatement,le public continue à protester par des manifestations imposantes et la grève générale.

"Le Résident,se mettant en flagrante contradiction avec S.A le Bey lui-même,déclara n'avoir jamais promis la mise en liberté des déportés.

"Ce démenti,opposé par le Résident,pour des considérations de prestige administratif au moment où la population se calmait,fut ressenti comme une cruelle et amère déception;l'effervescence reprit de plus belle.

"Tout ce mouvement n'était nullement dirigé contre la France,ni les Français de Tunisie,il avait simplement un caractère antiadministratif et antigouvernemental: c'est pourquoi il a pu conserver,malgré son ampleur ,un caractère pacifique;dans tout le pays,malgré le déroulement d'imposantes manifestations on n'eut à regretter aucune effusion de sang;l'énervement de la population était pourtant grand par suite de l'attitude provocatrice du Gouvernement,ses tergiversations,de ses voltes-faces.

"A Moknine,l'attitude maladroite et dans un certain sens provocatrice des autorités locales a contribué à faire perdre à la manifestation son caractère pacifique du début et une véritable émeute se produisait dont la responsabilité incombe entièrement aux autorités.Les militants du Parti Destourien présents dans la manifestation jouèrent un rôle qui leur fait honneur,car ils prêchèrent le calme parmi les manifestants déchaînés,et s'attachèrent à restreindre le foyer de l'incendie;aucun acte répréhensible ne fut relevé à leur encontre et les témoins les plus désireux de les mettre en vilaine posture ne purent que reconnaître leur attitude digne et correcte pendant ces douloureux événements.Maître d'eux-même,Maître de leurs nerfs ils ont su jusqu'au dernier moment conseiller le calme et la pondération,préserver les vies humaines,au risque parfois de leur propre vie.

"Aussi,peut-on dire en toute justice et en toute bonne foi,que le véritable responsable de ces douloureux événements qui pèsent encore lourdement sur la mémoire des Tunisiens,ce ne peut être les Destouriens qui ont tout mis en oeuvre pour les empêcher,c'est le Gouvernement lui-même qui à un moment où le peuple tunisien souffrait d'une crise terrible,a cru devoir prendre les mesures maladroites qui constituaient en réalité une véritable provocation.

"Il y a quoi qu'on dise ,chez chaque peuple,un état d'âme collectif qui obéit à des lois particulières différentes de celles qui régissent la conduite des individus envisagée séparément.Un bon administrateur,un véritable homme d'Etat doit tenir compte de cet état d'âme autrement dit des aspirations du peuple,de son honneur,de sa dignité en même temps que de ses besoins matériels."

"Une autre vérité aussi saute aux yeux et doit être dégagée: C'est que le Droit n'est pas crée de toutes pièces par l'Etat;il préexiste à l'Etat; ce n'est pas à coup de décrets pris d'une manière arbitraire qu'on gouverne un peuple conscient de ses droits et marchant dans la voie du progrès;un texte législatif n'a de valeur que s'il tient compte des réalités objectives qui s'imposent à tout législateur conscient de son rôle et désireux de faire oeuvre utile et durable."

"En Tunisie la réalité la plus importante dont tout législateur,quel qu'il soit doit s'inspirer,c'est l'aspiration du peuple tunisien,dans son ensemble à vivre d'une vie digne,dans une atmosphère de liberté." L'Action Tunisienne. 23 MAI 1937.

Rappelons tout simplement que ce texte très significatif à mains égards,est rédigé par Tahar Sfar trois années environ après les célèbres événements du 5 septembre 1934 dans la ville de Moknine ,et à la veille des sentences qui devaient être prononcées par le Tribunal militaire de Sousse en mai-juin 1937.En septembre 1934, quand sont intervenus les événement de Moknine,Tahar sfar et Bahri Guiga assumaient la responsabilité du Bureau politique du Néo-Destour,leurs camarades ,Le Docteur Mahmoud Materi,président du Parti et Habib Bourguiba secrétaire général étaient déportés dans le Sud tunisien depuis le 3 septembre 34;ils les rejoindront,en 1935, dans des conditions que nous relaterons.

LA QUESTION DES TERRES EN TUNISIE.

" la colonisation officielle demeure en Tunisie,une des formes les plus graves de l'intervention de l'Etat en matière économique.

"Parce qu'elle se propose de peupler la Tunisie d'un grand nombre de colons de race française et de leur assurer une supériorité marquée sur les enfants du Pays,cette colonisation fausse le jeu de la libre concurrence et perturbe les mécanismes de l'économie nationale:

"Outre ses conséquences démographiques qui peuvent être néfastes puisqu'elle donne lieu à une surpopulation artificielle dans un milieu peut-être saturé,elle grève le budget d'une charge permanente qui pèse lourdement sur le peuple,surtout aux époques de crise économique comme l'époque que nous traversons: elle aboutit ainsi à des résultats injustes comme celui d'enrichir des gens fraîchement implantés chez lesquels une propagande intense a développé l'esprit de lucre et crée le mirage de gros bénéfices facilement gagnés,pendant que les enfants du Pays,anéantis par une crise terrible demandent que des postes soient ouverts au budget pour arracher les plus infortunés d'entre eux aux griffes de la mort qui les guette."

"Au point de vue social et moral,cette forme d'intervention intensifie le préjugé de race et l'esprit de classe et ne contribue nullement,comme on le prétend,au rapprochement entre protecteurs et protégés;ce n'est qu'en vertu d'un raisonnement sophistiqué qu'on essaie de démontrer ce rapprochement par le colon,gros propriétaire,et de "l'indigène",salarié agricole,oubliant que l'existence de ce type de relations démontre l'éviction du Tunisien,par des procédés aussi nombreux que variés,du sol qu'il a fécondé par son travail et que ses ancêtres avant lui ont cultivé"

"Ainsi au triple point de vue social,financier et démographique,la colonisation officielle,en contrecarrant les lois naturelles au lieu de les laisser jouer librement ou d'en corriger simplement certains effets au profit des plus faibles,c'est à dire de la paysannerie autochtone,ignorante et pauvre,engendre le paupérisme,aggrave l'état de misère dans le Pays et crée aux côtés d'une classe toujours plus nombreuse de paysans indigènes,appauvris et ruinés,une oligarchie de colons français officiels,luxueusement installés et puissamment outillés."

"Mais,ce qu'il y a encore de plus grave,c'est la question politique qui résulte du problème des terres à allotir;car il ne suffit pas à la colonisation officielle d'avoir un fonds en argent,il lui faut,à tout prix,un fonds en terre suffisamment important;et, comme la confiscation directe est impossible dans un pays sous protectorat,on arrive au même résultat par des procédés aussi habiles que juridiques,en apparence du moins:

"C'est ainsi qu'après avoir puisé à pleines mains dans le réservoir des terres domaniales,après avoir par le décret du 13 janvier 1898,tari la source féconde des habous publics,après avoir songé un instant aux terres collectives et s'être arrêté aux difficultés de toute nature que leur utilisation pourrait,susciter,après s'être lancé enfin dans la grande aventure des terres forestières qui,à elle seule,a soulevé plus de mécontentement au sein de la population indigène que toutes les autres fautes politiques réunies,l'Etat,toujours à court de terres,mais jamais à court d'argent pour ce type de colonisation,se met paraît-il,à lancer des regards pleins d'amour aux habous privés."........."Le Gouvernement,au lieu de cela,devrait,en se détournant complètement de la "colonisation officielle"et pratiquant une politique résolument égalitaire et démocratique,s'occuper exclusivement des besoins ressentis par la population agricole de la Tunisie,sans s'attarder à des considération de race et sans subir l'influence des coteries intéressées au maintien des privilèges au profit de leurs membres ou de certaines administrations dont les pratiques routinières ont fini par rétrécir l'horizon." La Voix du Tunisien" 22 Juillet 1931.

LA VERITE SUR LE CAS HASSEN NOURI.

"Tout le monde connaît le tragique bilan des incidents de Bizerte.

On expulse du territoire de la Régence un militant jouissant de l'estime de la population ouvrière et des destouriens de Bizerte: Hassen Nouri: Les habitants de Bizerte essaient de faire parvenir aux autorités locales leur protestation et manifestent dans le calme le plus absolu;les forces de police s'opposent à la manifestation: morts,des dizaines de blessés,la population tunisienne tout entière est en deuil et pleure ses morts.

"Ayant été l'avocat de Hassen El Nouri dans les différents procès qui lui ont été intentés,et à la suite desquels il a été expulsé du territoire tunisien par l'Administration,je tiens dans un souci d'objectivité et de sincérité historique,à apporter mon témoignage,en vue d'éclairer l'opinion publique,tant française que tunisienne,de ce pays: dans le but de dissiper certains préjugés et de lever le voile sur certaines intrigues qui se fomentent dans l'ombre,heureux si je parviens,par ces révélations,à faire ouvrir les yeux des hommes de bonne foi et à leur montrer l'abîme qu'essaient de creuser sous leur pas,ceux que dévore l'ambition ou l'intérêt,au point de leur faire perdre tout respect de la dignité humaine,toute préoccupation de l'intérêt général bien compris et du véritable ordre public."

"Le cas Hassen El Nouri est un cas qui mérite d'être compris et médité.Il est à l'origine des événements sanglants de Bizerte et si l'on veut comprendre la genèse et la porté de ces événements,il convient avant tout de remonter aux origines,à la source pour ainsi dire et d'exposer en détail le cas caractéristique de Hassen Nouri.

"D'abord,il convient de faire justice de certaines accusations:

Hassen Nouri n'est pas du tout le personnage que l'on essaie de représenter sous les traits d'un agitateur dangereux,prêt à mettre le pays à feu et à sang.C'est un simple militant sincère et convaincu,auquel sa sincérité lui a valu l'estime de toute une population;il a milité pendant de nombreuses années au sein du Destour et son activité n'a jamais provoqué aucun désordre dans la population de Bizerte;depuis un certains nombre de mois,il a eu l'idée d'entrer dans le mouvement syndical et fut élu comme Secrétaire de L'Union des Syndicats de la région de Bizerte affiliés à la C.G.T.T. ;son activité au sein de ce groupement lui valut un certain nombre de procès pour fait de grève et réunions syndicales sans autorisation;trois procès en tout,où je suis intervenu personnellement en qualité d'avocat plaidant;l'un de ces procès fut clôturer par un non lieu de la part de M.le juge d'instruction Darrodes,à la haute conscience et à l'intégrité duquel je tiens volontiers à rendre hommage......" l'Action Tunisienne 15 janvier

LA SEULE SOLUTION POSSIBLE.

"La Tunisie traverse à l'heure actuelle une crise très grave qui appelle de la part du gouvernement des soins particulièrement dévoués et urgents.

"Au point de vue économique,c'est le marasme dans tous les domaines,la vie au ralenti,le chômage et la misère.

"Au point de vue politique,des difficultés sans nombre surgissent à l'horizon: le peuple demande des réformes de structure,la satisfaction de certaines revendications d'un intérêt vital pour le Pays: le Gouvernement répond par une répression à jet continu,des procès politiques sans nombre,des vexations de toutes sortes.

"Cette attitude que rien ne peut justifier,est d'autant plus inopportune que les Tunisiens ne demandent qu'à vivre en bonne entente avec la France dans une harmonisation des intérêts réciproques des deux pays,à une heure particulièrement grave où l'atmosphère politique internationale s'assombrit et se charge d'électricité.

"a un moment où,du haut de la tribune du parlement,le Président du Conseil,avec un accent pathétique,appelle à l'union tous les Français et s'adresse au sentiment national de tous ses compatriotes,ne convient-il pas de s'adresser à ce même sentiment pour appeler les Français à une union encore plus large, groupant autour d'eux tous ces peuples Tunisiens,Algériens,Marocains,qui ne demandent en réalité qu'à faire bloc avec la France,qu'à s'unir plus intimement avec elle,mais d'une union basées sur les liens d'amitié,de large compréhension,de fraternelle association,et non pas des rapports de violence et de domination?"

"Le quarteron de privilégiés et de prépondérant,au mépris des intérêts supérieurs de la France,s'emploie par tous les moyens à creuser le fossé d'incompréhension entre Français et Tunisiens et à dresser les uns contre les autres des éléments de la population appelés à s'entendre et à fraterniser: chaque jour,ce ne sont que des invectives,des appels à la haine.Rien ne trouve grâce devant ces messieurs ni l'activité politique du Destour,ni même son activité économique,ils ont juré d'avoir la tête de leurs adversaires politiques et quand ils voient le Gouvernement prés à s'engager maladroitement dans la voie de la répression administrative ou judiciaire,ils ne cachent pas leur satisfaction,ils illuminent;peu leur importe le mécontentement de deux millions et demi de Tunisiens,la colère que provoque toute répression,surtout lorsqu'elle apparait comme injuste aux yeux de l'opinion publique."

"On peut dire que les pires ennemis de la France,ce sont ces gens qui ne voient pas plus que leurs intérêts immédiats;quand aux militants du Destour qu'on traite actuellement de criminels,on doit reconnaître en toute justice,qu'ils oeuvrent mieux que quiconque au rapprochement des esprits et à l'apaisement des coeurs.Car seule la réalisation des réformes qu'ils préconisent peut apporter au peuple tunisien la légitime satisfaction qu'il attend depuis longtemps et éteindre tous les foyers de mécontentement." L'Action Tunisienne 19 MARS 1938."

Tahar Sfar a été un des rares intellectuels tunisiens à avoir pris très tôt une position publique nette contre le nazisme hitlérien, et cela, non pas par calcul politique ,en misant sur le camp des vainqueurs possibles de la guerre, mais par principe, et par fidélité à ses convictions profondes et à son combat contre toutes les formes de totalitarisme;comme Aragon il pensait que la lutte contre l'hitlérisme devait être menée "sans merci".En effet dés 1939,alors qu'Hitler était à l'apogée de son triomphe politique et militaire, Tahar Sfar rédige et publie dans la revue tunisienne en langue française "Leïla"une série d'articles pour expliquer les graves dangers que fait courir le nazisme à toute l'Humanité. Nous soumettons à l'attention du lecteur un texte intégral publié dans le numéro 7 de la revue "Leïla" du mois de décembre 1939.Il nous semble à travers Le texte que nous allons relire,qu'un citoyen tunisien, qui vit,douloureusement sa condition de "protégé colonisé", a su s'élever, devant une des grandes menaces de l'Histoire, à la vision d'un citoyen du Monde.

LES CONCEPTIONS RACISTES D'HITLER ET LA FAMILLE GERMANIQUE.

"Il ne s'agit pas de la vieille famille germanique, mais de celle, qu'Hitler dans son rêve d'hégémonie sur le monde a voulu constituer.

On sait que, partant de l'idée de la race supérieure,de la race élue et voulant débarrasser le sang allemand de tout mélange avec un sang étranger quelconque,Hitler a été amené à l'application de conceptions biologiques fantaisistes et de théories sociales non moins douteuses;il a cherché à mettre la Science et la Technique au service de sa mystique et de ses idées concues à priori.

Pour la première fois,on a vu prendre des mesures draconiennes pour empêcher toute communication,interdire tout rapport entre une race et les autres races qui peuplent la planète,dans un espoir vain,chimérique de parvenir à l'accumulation des prétendues qualités de cette race et d'en faire une race particulièrement désignée pour dominer le Monde et l'assujettir à ses lois.Rêve absurde,insensé,procédant d'un orgueil démesuré ,d'une mystique extravagante.

La Science nous enseigne,au contraire que les unions entre proches peuvent donner lieu à des mécomptes,car les tares et les défauts s'accumulent en s'ajoutant.D'autres part,il y a dans cette idée de purification de la race quelque chose qui est contraire à la Nature elle même dont l'oeuvre tend toujours à créer des complexes de plus en plus étendus,à partir du simple pour aboutir au composé,à mêler les éléments qu'elle fournit en de puissantes synthèses,en des combinaisons de plus en plus variées: le progrès ne réside-t-il pas,en effet,essentiellement,dans cette complication de plus en plus grande de la vie,tant biologique que sociale,complication qui doivent se produire selon des lois d'harmonie que la Nature, laissée à elle même,livrée à son propre cours,ou aidée et soutenue par l'Homme,tend à faire observer.

Or,l'oeuvre de la Nature,la volonté du Créateur,c'est d'assurer de plus en plus l'harmonie au sein de la création;cette harmonie ne peut être que le résultat d'une communication de plus en plus large entre les différents peuples de la terre et non point de l'établissement des cloisons étanches constituées par les préjugés de toutes sortes,les théories séparatistes et les conceptions exclusives: parler de races supérieures et de races inférieures,et appliquer dans les faits une telle théorie,c'est créer,au sein de la communauté internationale des fossés,c'est faire naître un déséquilibre certain,c'est fausser le jeu des relations harmonieuses qui doivent exister entre les différentes nations,relations,qui,pour être fraternelles et demeurer pacifiques,ne peuvent qu'être basées sur des considérations d'égalité,tirées de l'apport que chacune de ces nations fait ou croit faire à l'Humanité toute entière,de sa part contributive,si petite,si minime,soit-elle;dont la valeur fût-elle aussi infime."

"Ces considérations appellent plutôt à une union plus parfaite,des relations plus étendues,des rapports plus étroits,dans tous les domaines et non point l'exclusivisme le plus outrancier,le chauvinisme le plus exacerbé,poussés jusqu'à l'interdiction du mariage entre personnes appartenant à la même nationalité,assujetties au même régime,liées par le même statut,subissant les mêmes lois,rattachées au même Etat,sous prétexte qu'elles ne sont pas de la même race,que le sang qui circule dans leurs veines n'a pas la même couleur."

"Sans parler de l'injustice de telles conceptions,on peut se rendre compte aisément de leur caractère antinaturel et antisocial."

"Aussi peut-on dire,avec juste raison,que la Famille germanique,issue de telle conceptions,constitue un produit factice,artificiel,et par conséquent non viable comme tel: La nature,contrecarrée dans son oeuvre de création,selon les lois d'harmonie qu'elle s'est elle-même instituées,violentée par une autorité qui s'est opposée à la Science,avec une brutalité d'autant plus injustifiée qu'elle se fonde sur des considérations que ni la Morale,ni la Religion,ni le Droit ne peuvent légitimer,va pouvoir se venger,un jour ou l'autre mais dans un avenir certainement assez proche,par l'anéantissement de l'organisation fragile,malgré son apparente solidité,qui a été conçue et réalisée,au mépris de ses lois."

"On sait,en effet-et c'est un lieu commun sans cesse répété qu'on n'asservit la nature qu'en obéissant à ses lois;autrement dit la nature ne se montre favorable à nos desseins,ne sert nos projets que lorsque nous nous soumettons nous-même à ses exigences,à ses sollicitations,aux régles qu'elle édicte;au contraire,la violation de ces règles ne peut que conduire à la réalisation de ce qu'on appelle des monstres,êtres ou institutions qui apparaissent un jour,provoquent pendant quelque temps des effets d'admiration ou de terreur,frappent l'imagination par leurs formes singulières et leur aspect insolite,et disparaissent avec la même rapidité comme fumée au vent,s'abîment et s'anéantissent sans laisser de traces de leur passage,autrement que par les désastres et les ruines qu'ils auront pendant, quelque temps ,accumulés."

"Il en est ainsi de la Famille germanique,c'est à dire de la famille allemande actuelle: ramenée par Hitler,d'une manière obligatoire,par des procédés artificiels,en violant les lois de la nature elle-même,à des éléments "simples",alors que toutes les familles appartenant aux autres sociétés humaines avaient tendance à se "compliquer" en se mêlant,en s'intégrant de plus en plus,elle constitue un monstre,au sens biologique du mot ,complètement suspendu dans le vide,sans attache aucune avec les autres "produits" de la création.Et c'est peut on dire,dans une grande mesure,cet état de choses anormal et factice qui a contribué à amener la guerre actuelle;car, Hitler avant de précipiter le peuple, dont il s'est fait l'idole ,dans cet affreux cataclysme,a,par tout un travail préalable,coupé les ponts,interrompu les relations entre lui et le monde civilisé;il a tenu à lui communiquer ou plutôt à réveiller en lui des instincts de violence,à lui donner le sentiment d'une prétendue supériorité par rapport aux autres peuples,à lui enseigner le mépris de ces peuples,de leurs institutions et de leurs usages.

"Nous n'en voulons pour preuve que ces paroles de son "Mein Kampf" que nous reproduisons ici à titre de citations,à l'appui de ce que nous avons dit, et qui montre à quel degré atteint le cynisme de cet agitateur forcené: "...la condition préalable mise à l'existence durable d'une humanité supérieure n'est pas l'Etat,mais la race qui possède les facultés requises."

"...comme la nationalité,ou pour mieux dire la race,ne dépend pas de la langue,mais du sang,on n'aurait le droit de parler de germanisation que si on parvenait à changer le sang du vaincu.mais cela est impossible.Y arriverait-on,ce serait par un mélange de sangs,qui abaisserait le niveau de la race supérieure."......."Nous sentons tous que,dans un avenir éloigné,les hommes rencontreront des problèmes que seul,pourra être appelé à résoudre un maître-peuple de la plus haute race,disposant de tous les moyens et toutes les ressources du monde entier...."Une paix,non assurée par les rameaux d'oliviers qu'agitent,la larme facile des pleureuses pacifistes,mais garantie par l'épée victorieuse d'un peuple-maître qui met le monde entier au service d'une civilisation supérieure."...."Les armes les plus cruelles deviennent les plus humaines,car elles sont la condition d'une victoire plus rapide et aident à assurer à la nation la dignité de la liberté."...."L'humanité a grandi dans la lutte perpétuelle,la paix éternelle la conduirait au tombeau."

"Ces quelques citations suffisent pour montrer à quel degré atteint le mépris d'Hitler pour les races autre que la race allemande,comment il emprunte à Nietzche sa théorie du "surhomme" pour en faire celle du "peuple-maître",de la race élue,prédestinée à gouverner l'Univers et à courber l'Humanité toute entière sous son joug oppresseur,comment il fait de la violence une doctrine destinée à régir les rapports entre les peuples;c'est le régime de la guerre perpétuelle,de l'insécurité,de la guérilla,comme celle qui existait autrefois entre clans et tribus et que la constitution des peuples en Etats a contribué à supprimer.Si de tels desseins se réalisaient,c'en est fait de la civilisation;c'en est fait du progrès,mais l'on ne peut prédire à coup sûr,l'échec d'une telle tentative;car l'Humanité suit en général,une ligne d'évolution qu'aucune force au monde ne saurait,ne pourrait détourner de son cours;et toutes les institutions,comme la famille germanique d'Hitler,qui s'opposent à cette évolution sont assurées d'une disparition rapide et certaine." Revue Leîla Nm7 décembre 1939.

A titre d'exemple, et ,pour permettre au lecteur de se faire une idée de la lucidité et du courage intellectuel de Tahar Sfar,à l'époque, en comparaison même avec des grands penseurs "résistants" français comme Malraux je cite un extrait d'un article publié par le journal "Le Figaro" du lundi 2 décembre 1996,sous la plume de Guy PERRIER ,avec le titre suivant: "Les Silences de Malraux":"..Comment Malraux a-t-il pu se taire lors de la conclusion du pacte germano-soviétique en août 1939, lui le défenseur de l'Espagne républicaine? Comment a-t-il pu accepter cette alliance monstrueuse avec le fascisme d'Hitler.....?.Mais il y a pire. Durant les quatre années d'occupation, Malraux se tait;le long ,le lourd silence est absolument insupportable..."

DECLARATION DE TAHAR SFAR AU QUOTIDIEN DE LANGUE ARABE EZZOHRA AU LENDEMAIN DES MANIFESTATIONS PACIFIQUES DU 8 AVRIL 1938:TEMOIGNAGE INNOCENTANT SES CAMARADES DE COMBAT DES ACCUSATIONS CALOMNIEUSES DE COLLUSION AVEC LES FASCISTES.

"La manifestation pacifique d'avant hier(vendredi 8avril) constituait un événement de la plus haute importance dans l'histoire de la Tunisie. Le peuple a fait preuve d'une rare conscience, assumant ses devoirs avec une remarquable lucidité, car tenu par la morale et la solidarité d'être aux côtés de ses leaders victimes des manoeuvres secrètes,des manigances des réactionnaires et de leur presse "polluée".

" Nous sommes ainsi,entre autre,victimes des attaques de M Durand Angliviel,accusant notre Nation et ses hommes intègres d'être inféodés à l'Italie et aux Italiens et d'avoir soutenu leur dictature fasciste."

"Mais les Tunisiens ont prouvé ce vendredi 8 avril,que leur seul objectif était de recouvrer leurs droits politiques et d'assurer la direction des affaires de leur pays,but auquel ils avaient toujours aspiré et adhéré avec conviction."

"En fait,qui peut nous dénier le droit de consacrer notre intérêt à nos affaires et de préparer l'avenir de nos enfants après avoir démontrer que notre pays n'est pas sur la bonne voie et que la chance du Tunisien est pratiquement nulle de retrouver sa dignité?"

"Prés de 20.000 hommes en rangs serrés,qui ont manifesté dans le calme,se sont dirigé vers Bab-Bhar où ils ont exprimé leurs droits légitimes,réclamant un Parlement tunisien et un gouvernement responsable devant eux.C'était là l'objectif pour lequel avait été constitué le Parti Constitutionnel en 1920."

"Les combines et les machinations ont constitué une entrave à la réalisation des aspirations des Tunisiens à vivre en paix: ainsi,le peuple a su déjouer les manoeuvres des profiteurs et des pêcheurs en eau trouble qui ont toujours tenté de semer la gabegie et d'envenimer les relations entre le" protecteur" et le" protégé".Il a coupé l'herbe sous les pieds de tous les manoeuvriers et aussi des monopolisateurs de la lutte nationale qui ,jusqu'ici,déclaraient illégale toute action émanant d'autres personnes même si la leur est insignifiante."

"La presse du matin a fait état d'une rumeur par le biais de laquelle les auteurs ont voulu jeter le désarroi dans les esprits en prétextant que les manifestants venant de Hammam-lif se sont dirigés vers le consulat d'Italie en scandant:"vive le Duce",une telle attitude ne pouvant émaner de Tunisiens patriotes,mais de marginaux."

"Quelle que soit l'ampleur du différend qui existe entre nous et la France,nous ne permettrons à quiconque de simuler des sentiments ou des attitudes que nous n'éprouvons et il n'est pas non plus logique qu'une puissance étrangère,ayant des ambitions que nous désapprouvons, puisse intervenir dans nos affaires."

"EZZOHRA AVRIL 1938" Traduction du quotidien "le Renou

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