Tahar Sfar a été un des rares intellectuels tunisiens à avoir pris très tôt une position publique nette contre le nazisme hitlérien Il a tenu à s’exprimer non pas par calcul politique ,en misant sur le camp des vainqueurs possibles de la guerre, mais par principe, et par fidélité à ses convictions profondes et à son combat contre toutes les formes de totalitarisme; comme Aragon il pensait que la lutte contre l'hitlérisme devait être menée "sans merci". En effet dés 1939,alors qu'Hitler était à l'apogée de son triomphe politique et militaire,Tahar Sfar rédige et publie dans la revue tunisienne en langue française "Leïla" un article d’un rare courage à l’époque pour expliquer les graves dangers que fait courir le nazisme à toute l'Humanité. Nous soumettons à l'attention du lecteur le texte intégral de cet article publié dans le numéro 7 de la revue "Leïla" du mois de décembre 1939.Il nous semble à travers le texte que nous allons relire, qu'un citoyen tunisien, qui vit, douloureusement sa condition de "protégé colonisé", a su s'élever, devant une des grandes menaces de l'Histoire, à la vision d'un citoyen du Monde. N’est ce pas une fierté pour tous les tunisiens que nous nous devons de rappeler..  ?

LES CONCEPTIONS RACISTES D'HITLER ET LA FAMILLE GERMANIQUE.

"Il ne s'agit pas de la vieille famille germanique, mais de celle, qu'Hitler dans son rêve d'hégémonie sur le monde a voulu constituer. On sait que, partant de l'idée de la race supérieure, de la race élue et voulant débarrasser le sang allemand de tout mélange avec un sang étranger quelconque, Hitler a été amené à l'application de conceptions biologiques fantaisistes et de théories sociales non moins douteuses; il a cherché à mettre la Science et la Technique au service de sa mystique et de ses idées conçues à priori. Pour la première fois, on a vu prendre des mesures draconiennes pour empêcher toute communication, interdire tout rapport entre une race et les autres races qui peuplent la planète, dans un espoir vain, chimérique de parvenir à 179 l'accumulation des prétendues qualités de cette race et d'en faire une race particulièrement désignée pour dominer le Monde et l'assujettir à ses lois. Rêve absurde, insensé, procédant d'un orgueil démesuré, d’une mystique extravagante. La Science nous enseigne, au contraire que les unions entre proches peuvent donner lieu à des mécomptes, car les tares et les défauts s'accumulent en s'ajoutant. D'autres part, il y a dans cette idée de purification de la race quelque chose qui est contraire à la Nature elle même dont l'oeuvre tend toujours à créer des complexes de plus en plus étendus, à partir du simple pour aboutir au composé, à mêler les éléments qu'elle fournit en de puissantes synthèses, en des combinaisons de plus en plus variées: le progrès ne réside-til pas, en effet, essentiellement, dans cette complication de plus en plus grande de la vie, tant biologique que sociale, complication qui doivent se produire selon des lois d'harmonie que la Nature, laissée à elle même, livrée à son propre cours, ou aidée et soutenue par l'Homme, tend à faire observer. Or, l’oeuvre de la Nature, la volonté du Créateur, c’est d'assurer de plus en plus l'harmonie au sein de la création; cette harmonie ne peut être que le résultat d'une communication de plus en plus large entre les différents peuples de la terre et non point de l'établissement des cloisons étanches constituées par les préjugés de toutes sortes, les théories séparatistes et les conceptions exclusives: parler de races supérieures et de races inférieures, et appliquer dans les faits une telle théorie, c’est créer, au sein de la communauté internationale des fossés, c’est faire naître un déséquilibre certain, c'est fausser le jeu des relations 180 harmonieuses qui doivent exister entre les différentes nations, des relations, qui, pour être fraternelles et demeurer pacifiques, ne peuvent qu'être basées sur des considérations d'égalité, tirées de l'apport que chacune de ces nations fait ou croit faire à l'Humanité toute entière, de sa part contributive, si petite, si minime, soit-elle; dont la valeur fût-elle aussi infime." "Ces considérations appellent plutôt à une union plus parfaite, des relations plus étendues, des rapports plus étroits, dans tous les domaines et non point l'exclusivisme le plus outrancier, le chauvinisme le plus exacerbé, poussés jusqu'à l'interdiction du mariage entre personnes appartenant à la même nationalité, assujetties au même régime, liées par le même statut, subissant les mêmes lois, rattachées au même État, sous prétexte qu'elles ne sont pas de la même race, que le sang qui circule dans leurs veines n'a pas la même couleur." "Sans parler de l'injustice de telles conceptions, on peut se rendre compte aisément de leur caractère antinaturel et antisocial." "Aussi peut-on dire, avec juste raison, que la Famille germanique, issue de telle conceptions, constitue un produit factice, artificiel, et par conséquent non viable comme tel: La nature, contrecarrée dans son oeuvre de création, selon les lois d'harmonie qu'elle s'est elle-même instituées, violentée par une autorité qui s'est opposée à la Science, avec une brutalité d'autant plus injustifiée qu'elle se fonde sur des considérations que ni la Morale, ni la Religion, ni le Droit ne peuvent légitimer, va pouvoir se venger, un jour ou l'autre mais dans un avenir certainement assez 181 proche, par l'anéantissement de l'organisation fragile, malgré son apparente solidité, qui a été conçue et réalisée, au mépris de ses lois." "On sait, en effet-et c'est un lieu commun sans cesse répété qu'on n'asservit la nature qu'en obéissant à ses lois; autrement dit la nature ne se montre favorable à nos desseins, ne sert nos projets que lorsque nous nous soumettons nous-mêmes à ses exigences, à ses sollicitations, aux règles qu'elle édicte; au contraire, la violation de ces règles ne peut que conduire à la réalisation de ce qu'on appelle des monstres, êtres ou institutions qui apparaissent un jour, provoquent pendant quelque temps des effets d'admiration ou de terreur, frappent l'imagination par leurs formes singulières et leur aspect insolite, et disparaissent avec la même rapidité comme fumée au vent, s’abîment et s'anéantissent sans laisser de traces de leur passage, autrement que par les désastres et les ruines qu'ils auront pendant, quelque temps ,accumulés." "Il en est ainsi de la Famille germanique, c’est à dire de la famille allemande actuelle: ramenée par Hitler,d'une manière obligatoire, par des procédés artificiels, en violant les lois de la nature elle-même, à des éléments "simples", alors que toutes les familles appartenant aux autres sociétés humaines avaient tendance à se "compliquer" en se mêlant, en s'intégrant de plus en plus, elle constitue un monstre, au sens biologique du mot ,complètement suspendu dans le vide, sans attache aucune avec les autres "produits" de la création. Et c'est peut on dire, dans une grande mesure, cet état de choses anormal et factice qui a contribué à amener la guerre actuelle; car, Hitler avant de précipiter le peuple, dont 182 il s'est fait l'idole ,dans cet affreux cataclysme a, par tout un travail préalable, coupé les ponts, interrompu les relations entre lui et le monde civilisé; il a tenu à lui communiquer ou plutôt à réveiller en lui des instincts de violence, à lui donner le sentiment d'une prétendue supériorité par rapport aux autres peuples, à lui enseigner le mépris de ces peuples, de leurs institutions et de leurs usages. "Nous n'en voulons pour preuve que ces paroles de son "Mein Kampf" que nous reproduisons ici à titre de citations, à l'appui de ce que nous avons dit, et qui montre à quel degré atteint le cynisme de cet agitateur forcené: " ...la condition préalable mise à l'existence durable d'une humanité supérieure n'est pas l'Etat, mais la race qui possède les facultés requises." "...comme la nationalité, ou pour mieux dire la race, ne dépend pas de la langue, mais du sang, on n'aurait le droit de parler de germanisation que si on parvenait à changer le sang du vaincu. Mais cela est impossible. Y arriverait-on, ce serait par un mélange de sangs, qui abaisserait le niveau de la race supérieure."......."Nous sentons tous que, dans un avenir éloigné, les hommes rencontreront des problèmes que seul, pourra être appelé à résoudre un maître-peuple de la plus haute race, disposant de tous les moyens et toutes les ressources du monde entier... ."Une paix, non assurée par les rameaux d'oliviers qu'agitent, la larme facile des pleureuses pacifistes, mais garantie par l'épée victorieuse d'un peuple-maître qui met le monde entier au service d'une civilisation supérieure."...."Les armes les plus cruelles deviennent les plus humaines, car elles sont la condition d'une victoire plus rapide et aident à assurer à la nation la 183 dignité de la liberté."...."L'humanité a grandi dans la lutte perpétuelle, la paix éternelle la conduirait au tombeau." "Ces quelques citations suffisent pour montrer à quel degré atteint le mépris d'Hitler pour les races autre que la race allemande, comment il emprunte à Nietzche sa théorie du "surhomme" pour en faire celle du "peuplemaître", de la race élue, prédestinée à gouverner l'Univers et à courber l'Humanité toute entière sous son joug oppresseur, comment il fait de la violence une doctrine destinée à régir les rapports entre les peuples; c'est le régime de la guerre perpétuelle, de l'insécurité, de la guérilla, comme celle qui existait autrefois entre clans et tribus et que la constitution des peuples en Etats a contribué à supprimer. Si de tels desseins se réalisaient, c'en est fait de la civilisation; c'en est fait du progrès, mais l'on ne peut prédire à coup sûr, l'échec d'une telle tentative; car l'Humanité suit en général, une ligne d'évolution qu'aucune force au monde ne saurait, ne pourrait détourner de son cours; et toutes les institutions, comme la famille germanique d'Hitler, qui s'opposent à cette évolution sont assurées d'une disparition rapide et certaine." Revue Leîla Nm7 décembre 1939.

A titre d'exemple, et ,pour permettre au lecteur de se faire une idée de la lucidité et du courage intellectuel de Tahar Sfar, à l'époque, en comparaison même avec des grands penseurs "résistants" français comme Malraux je cite un extrait d'un article publié par le journal "Le Figaro" du lundi 2 décembre 1996, sous la plume de Guy PERRIER ,avec le titre suivant: "Les Silences de Malraux":"..Comment Malraux a-t-il pu se taire lors de la conclusion du pacte germano-soviétique en août 1939, lui le défenseur de l'Espagne républicaine? Comment a-t-il pu accepter cette alliance monstrueuse avec le fascisme d'Hitler.....?.Mais il y a pire. Durant les quatre années d'occupation, Malraux se tait;le long ,le lourd silence est absolument insupportable..."

DÉCLARATION DE TAHAR SFAR AU QUOTIDIEN DE LANGUE ARABE EZZOHRA AU LENDEMAIN DES MANIFESTATIONS PACIFIQUES DU 8 AVRIL 1938:TÉMOIGNAGE INNOCENTANT SES CAMARADES DE COMBAT DES ACCUSATIONS CALOMNIEUSES DE COLLUSION AVEC LES FASCISTES.

"La manifestation pacifique d'avant hier(vendredi 8avril) constituait un événement de la plus haute importance dans l'histoire de la Tunisie. Le peuple a fait preuve d'une rare conscience, assumant ses devoirs avec une remarquable lucidité, car tenu par la morale et la solidarité d'être aux côtés de ses leaders victimes des manoeuvres secrètes, des manigances des réactionnaires et de leur presse "polluée". " Nous sommes ainsi, entre autre, victimes des attaques de M Durand Angliviel, accusant notre Nation et ses hommes intègres d'être inféodés à l'Italie et aux Italiens et d'avoir soutenu leur dictature fasciste." "Mais les Tunisiens ont prouvé ce vendredi 8 avril, que leur seul objectif était de recouvrer leurs droits politiques et d'assurer la direction des affaires de leur pays, but auquel ils avaient toujours aspiré et adhéré avec conviction." "En fait, qui peut nous dénier le droit de consacrer notre intérêt à nos affaires et de préparer l'avenir de nos enfants 185 après avoir démontrer que notre pays n'est pas sur la bonne voie et que la chance du Tunisien est pratiquement nulle de retrouver sa dignité?" "Prés de 20.000 hommes en rangs serrés, qui ont manifesté dans le calme, se sont dirigé vers Bab-Bhar où ils ont exprimé leurs droits légitimes, réclamant un Parlement tunisien et un gouvernement responsable devant eux. C'était là l'objectif pour lequel avait été constitué le Parti Constitutionnel en 1920." "Les combines et les machinations ont constitué une entrave à la réalisation des aspirations des Tunisiens à vivre en paix: ainsi, le peuple a su déjouer les manoeuvres des profiteurs et des pêcheurs en eau trouble qui ont toujours tenté de semer la gabegie et d'envenimer les relations entre le" protecteur" et le" protégé". Il a coupé l'herbe sous les pieds de tous les manoeuvriers et aussi des monopolisateurs de la lutte nationale qui ,jusqu'ici, déclaraient illégale toute action émanant d'autres personnes même si la leur est insignifiante." "La presse du matin a fait état d'une rumeur par le biais de laquelle les auteurs ont voulu jeter le désarroi dans les esprits en prétextant que les manifestants venant de Hammam-lif se sont dirigés vers le consulat d'Italie en scandant: «vive le Duce», une telle attitude ne pouvant émaner de Tunisiens patriotes, mais de marginaux." "Quelle que soit l'ampleur du différend qui existe entre nous et la France, nous ne permettrons à quiconque de simuler des sentiments ou des attitudes que nous n'éprouvons et il n'est pas non plus logique qu'une puissance étrangère, ayant 186 des ambitions que nous désapprouvons, puisse intervenir dans nos affaires." "EZZOHRA AVRIL 1938" Traduction du quotidien "le Renouveau" du samedi 9 avril 1988.

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